Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/320

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il s’approprie, sans esprit, l’esprit des autres ! comme il gâte ce qu’il pille ! comme il me dégoûte ! mais il ne me dégoûtera plus ; c’est assez d’avoir lu quelques pages de l’archidiacre.

Il y avait à table un homme savant et de goût qui appuya ce que disait la marquise. On parla ensuite de tragédies ; la dame demanda pourquoi il y avait des tragédies qu’on jouait quelquefois, et qu’on ne pouvait lire. L’homme de goût expliqua très bien comment une pièce pouvait avoir quelque intérêt, et n’avoir presque aucun mérite ; il prouva en peu de mots que ce n’était pas assez d’amener une ou deux de ces situations qu’on trouve dans tous les romans, et qui séduisent toujours les spectateurs ; mais qu’il faut être neuf sans être bizarre, souvent sublime et toujours naturel, connaître le cœur humain et le faire parler ; être grand poëte, sans que jamais aucun personnage de la pièce paraisse poëte ; savoir parfaitement sa langue, la parler avec pureté, avec une harmonie continue, sans que jamais la rime coûte rien au sens. Quiconque, ajouta-t-il, n’observe pas toutes ces règles, peut faire une ou deux tragédies applaudies au théâtre, mais il ne sera jamais compté au rang des bons écrivains ; il y a très peu de bonnes tragédies : les unes sont des idylles en dialogues bien écrits et bien rimés ; les autres, des raisonnements politiques qui endorment, ou des amplifications qui rebutent ; les autres, des rêves d’énergumène, en style barbare, des propos interrompus, de longues apostrophes aux dieux, parcequ’on ne sait point parler aux hommes, des maximes fausses, des lieux communs ampoulés.