Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome04.djvu/205

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Qui peut goûter en paix, dans le suprême rang,
Le barbare plaisir d’hériter de son sang !
Si je n’ai plus de fils, que m’importe un empire !
Que m’importe ce ciel, ce jour que je respire ?
Je dus y renoncer alors que dans ces lieux  
Mon époux fut trahi des mortels et des dieux.
Ô perfidie ! ô crime ! ô jour fatal au monde !
Ô mort toujours présente à ma douleur profonde !
J’entends encor ces voix, ces lamentables cris,
Ces cris : « Sauvez le roi, son épouse, et ses fils ! »  
Je vois ces murs sanglants, ces portes embrasées,
Sous ces lambris fumants ces femmes écrasées,
Ces esclaves fuyants, le tumulte, l’effroi,
Les armes, les flambeaux, la mort, autour de moi.
Là, nageant dans son sang, et souillé de poussière,   
Tournant encor vers moi sa mourante paupière,
Cresphonte en expirant me serra dans ses bras ;
Là, deux fils malheureux, condamnés au trépas,
Tendres et premiers fruits d’une union si chère,
Sanglants et renversés sur le sein de leur père,   
À peine soulevaient leurs innocentes mains.
Hélas ! Ils m’imploraient contre leurs assassins.
Égisthe échappa seul ; un dieu prit sa défense :
Veille sur lui, grand dieu qui sauvas son enfance !
Qu’il vienne ; que Narbas le ramène à mes yeux
Du fond de ses déserts au rang de ses aïeux !
J’ai supporté quinze ans mes fers et son absence ;
Qu’il règne au lieu de moi : voilà ma récompense.


Scène II


Mérope, Isménie, Euryclès.


Mérope

Eh bien ! Narbas : mon fils ?

Euryclès

Eh bien ! Narbas : mon fils ?Vous me voyez confus ;
Tant de pas, tant de soins, ont été superflus.
On a couru, madame, aux rives du Pénée,
Dans les champs d’Olympie, aux murs de Salmonée ;