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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/120

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MÉMOIRES.

une troisième dans laquelle il ne se trompa point : ce fut d’envahir la Saxe sous prétexte d’amitié, et de faire la guerre à l’impératrice, reine de Hongrie, avec l’argent qu’il pilla chez les Saxons.

Le marquis de Brandebourg, par cette manœuvre singulière, fit seul changer tout le système de l’Europe. Le roi de France, voulant le retenir dans son alliance, lui avait envoyé le duc de Nivernais, homme d’esprit, et qui faisait de très-jolis vers. L’ambassade d’un duc et pair et d’un poëte semblait devoir flatter la vanité et le goût de Frédéric ; il se moqua du roi de France, et signa son traité avec l’Angleterre le jour même que l’ambassadeur arriva à Berlin ; joua très-poliment le duc et pair, et fit une épigramme contre le poëte.

C’était alors le privilége de la poésie de gouverner les États. Il y avait un autre poète à Paris, homme de condition, fort pauvre, mais très-aimable, en un mot l’abbé de Bernis, depuis cardinal. Il avait débuté par faire des vers contre moi, et ensuite était devenu mon ami, ce qui ne lui servait à rien ; mais il était devenu celui de Mme de Pompadour, et cela lui fut plus utile. On l’avait envoyé du Parnasse en ambassade à Venise ; il était alors à Paris avec un très-grand crédit.

Le roi de Prusse, dans ce beau livre de poëshies que ce M. Freytag redemandait à Francfort avec tant d’instance, avait glissé un vers contre l’abbé de Bernis :

Évitez de Bernis la stérile abondance.

Je ne crois pas que ce livre et ce vers fussent parvenus jusqu’à l’abbé ; mais, comme Dieu est juste, Dieu se servit de lui pour venger la France du roi de Prusse. L’abbé conclut[1] un traité offensif et défensif avec M. de Staremberg, ambassadeur d’Autriche, en dépit de Bouille, alors ministre des affaires étrangères. Mme de Pompadour présida à cette négociation : Bouille fut obligé de signer le traité conjointement avec l’abbé de Bernis, ce qui était sans exemple. Ce ministre Bouille, il faut l’avouer, était le plus inepte secrétaire d’État que jamais roi de France ait eu, et le pédant le plus ignorant qui fût dans la robe. Il avait demandé un jour si la Vétéravie était en Italie. Tant qu’il n’y eut point d’affaires épineuses à traiter, on le souffrit ;

  1. Le 1er mai 1757.