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MÉMOIRES.
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mais, dès qu’on eut de grands objets, on sentit son insuffisance, on le renvoya, et l’abbé de Bernis eut sa place.

Mlle  Poisson, dame Le Normand, marquise de Pompadour, était réellement premier ministre d’État. Certains termes outrageants, lâchés contre elle par Frédéric, qui n’épargnait ni les femmes ni les poëtes, avaient blessé le cœur de la marquise, et ne contribuèrent pas peu à cette révolution dans les affaires qui réunit en un moment les maisons de France et d’Autriche, après plus de deux cents ans d’une haine réputée immortelle. La cour de France, qui avait prétendu, en 1741, écraser l’Autriche, la soutint en 1756 ; et enfin l’on vit la France, la Russie, la Suède, la Hongrie, la moitié de l’Allemagne, et le fiscal de l’empire, déclarés contre le seul marquis de Brandebourg.

Ce prince, dont l’aïeul pouvait à peine entretenir vingt mille hommes, avait une armée de cent mille fantassins et de quarante mille cavaliers, bien composée, encore mieux exercée, pourvue de tout ; mais enfin il y avait plus de quatre cent mille hommes en armes contre le Brandebourg.

Il arriva, dans cette guerre, que chaque parti prit d’abord tout ce qu’il était à portée de prendre. Frédéric prit la Saxe, la France prit les États de Frédéric depuis la ville de Cueldres jusqu’à Minden, sur le Veser, et s’empara pour un temps de tout l’électorat de Hanovre et de la Hesse, alliée de Frédéric ; l’impératrice de Russie prit toute la Prusse ; ce roi, battu d’abord par les Russes, battit les Autrichiens, et ensuite en fut battu dans la Bohême, le 18 de juin 1757[1].

La perte d’une bataille semblait devoir écraser ce monarque ; pressé de tous côtés par les Russes, par les Autrichiens, et par la France, lui-même se crut perdu. Le maréchal de Richelieu venait de conclure près de Stade un traité avec les Hanovriens et les Hessois, qui ressemblait à celui des Fourches-Caudines. Leur armée ne devait plus servir ; le maréchal était prêt d’entrer dans la Saxe avec soixante mille hommes ; le prince de Soubise allait y entrer d’un autre côté avec plus de trente mille, et était secondé de l’armée des Cercles de l’empire ; de là on marchait à Berlin. Les Autrichiens avaient gagné un second combat, et étaient déjà dans Breslau ; un de leurs généraux même avait fait une course jusqu’à Berlin, et l’avait mis à contribution : le trésor du roi de Prusse était presque épuisé, et bientôt il ne devait plus lui rester un village ; on allait le mettre au ban de

  1. À Kollin.