Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
HISTORIQUE.

sait parfaitement. Quoique ce poëme ne fût que comique, on y trouva beaucoup plus d’imagination que dans la Henriade ; mais la Pucelle fut indignement violée par des polissons grossiers, qui la firent imprimer avec des ordures intolérables. Les seules bonnes éditions sont celles de MM. Cramer.

Il fallut quitter Cirey pour aller solliciter à Bruxelles un procès que la maison du Châtelet y soutenait depuis longtemps contre la maison de Honsbrouck, procès qui pouvait les ruiner l’une et l’autre. M. de Voltaire, conjointement avec M. Raesfeld, président de Clèves, accommoda enfin cet ancien différend, moyennant cent trente mille francs[1], argent de France, qui furent payés à M. le marquis du Châtelet.

Le malheureux et célèbre Rousseau était alors à Bruxelles. Mme du Châtelet ne voulut point le voir ; elle savait que Rousseau avait fait autrefois une satire[2] contre le baron de Breteuil son père, dans le temps qu’il était son domestique ; et nous en avons la preuve dans un papier écrit tout entier de la main de Mme du Châtelet.

Les deux poëtes se virent, et bientôt conçurent une assez forte aversion l’un pour l’autre. Rousseau ayant montré à son antagoniste une Ode à la postérité, celui-ci lui dit : « Mon ami, voilà une lettre qui ne sera jamais reçue à son adresse. » Cette raillerie ne fut jamais pardonnée. Il y a une lettre de M. de Voltaire à M. Linant[3], dans laquelle il dit : « Rousseau me méprise, parce que je néglige quelquefois la rime ; et moi je le méprise, parce qu’il ne sait que rimer[4]. »

  1. Dans ses Mémoires, Voltaire avait dit deux cent vingt mille francs.
  2. Voyez tome XXII, page 330 ; et aussi, tome X, page 286, une note de l’Épître à Mme du Châtelet sur la Calomnie (1733), et tome X, page 78, une note de la satire intitulée la Crépinade.
  3. La collection des lettres de Voltaire ne contient encore aucune lettre adressée au Linant dont on parle ici.
  4. Nous observons qu’une lettre d’un sieur de Médine à un sieur de Missy, du 17 février 1737, prouve assez que le poëte Rousseau ne s’était pas corrigé à Bruxelles. La voici : « Vous allez être étonné du malheur qui m’arrive ; il m’est revenu des lettres protestées ; on m’enlève mercredi au soir et on me met en prison : croiriez-vous que ce coquin de Rousseau, cet indigne, ce monstre, qui depuis six mois n’a bu et mangé que chez moi, à qui j’ai rendu les plus grands services, et en nombre, a été la cause qu’on m’a pris ? C’est lui qui a irrité contre moi le porteur des lettres ; enfin ce monstre, vomi des enfers, achevant de boire avec moi à ma table, de me baiser, de m’embrasser, a servi d’espion pour me faire enlever à minuit. Non, jamais trait n’a été si noir ; je ne puis y penser sans horreur. Si vous saviez tout ce que j’ai fait pour lui ! Patience, je compte que notre correspondance n’en sera pas altérée. »

    Il faut avouer qu’une telle action sert beaucoup à justifier Saurin, et la