Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
COMMENTAIRE

Les extrêmes bontés avec lesquelles le roi de Prusse l’avait prévenu lui firent bien oublier la haine de Rousseau. Ce monarque était poëte aussi ; mais il avait tous les talents de sa place, et tous ceux qui n’en étaient pas. Une correspondance suivie était établie depuis longtemps entre lui et notre auteur, lorsqu’il était prince royal héréditaire. On a imprimé quelques unes de leurs lettres dans les recueils qu’on a faits des ouvrages de M. de Voltaire.

Ce prince venait, à son avènement à la couronne, de visiter toutes les frontières de ses États. Son désir de voir les troupes françaises, et d’aller incognito à Strasbourg et à Paris, lui fit entreprendre le voyage de Strasbourg, sous le nom du comte du Four ; mais, ayant été reconnu par un soldat qui avait servi dans les armées de son père, il retourna à Clèves.

Plus d’un curieux a conservé dans son portefeuille une lettre en prose et en vers, dans le goût de Chapelle, écrite par ce prince sur ce voyage de Strasbourg. L’étude de la langue et de la poésie française, celle de la musique italienne, de la philosophie et de l’histoire, avaient fait sa consolation dans les chagrins qu’il avait essuyés pendant sa jeunesse. Cette lettre est un monument singulier d’un homme qui a gagné depuis tant de batailles ; elle est écrite avec grâce et légèreté ; en voici quelques morceaux[1] :

« Je viens de faire un voyage entremêlé d’aventures singulières, quelquefois fâcheuses, et souvent plaisantes. Vous savez que j’étais parti pour Bruxelles afin de revoir une sœur que j’aime autant que je l’estime. Chemin faisant, Algarotti et moi, nous consultions la carte géographique pour régler notre retour par Vesel. Strasbourg ne nous détournait pas beaucoup, nous choisîmes cette route par préférence : l’incognito fut résolu ; enfin, tout arrangé et concerté au mieux, nous crûmes aller en trois jours à Strasbourg ;

Mais le ciel, qui de tout dispose,
Régla différemment la chose.
Avec des coursiers efflanqués,
En droite ligne issus de Rossinante,


    sentence et l’arrêt qui bannirent Rousseau. Mais nous n’entrons pas dans les profondeurs de cette affaire, si funeste et si déshonorante. (Note de Voltaire.)

    Dans cette note la lettre de Rousset de Missy est abrégée ; elle est entière, tome XXII, page 354.

  1. Un autre fragment de cette lettre est rapporté dans les Mémoires.