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HISTORIQUE.

jusqu’à la passion. Il couchait au-dessous de son appartement, et ne sortait de sa chambre que pour souper. Le roi composait en haut des ouvrages de philosophie, d’histoire, et de poésie ; et son favori cultivait en bas les mêmes arts et les mêmes talents. Ils s’envoyaient l’un à l’autre leurs ouvrages. Le monarque prussien fit à Potsdam son Histoire de Brandebourg ; et l’écrivain français y fit le Siècle de Louis XIV, ayant apporté avec lui tous ses matériaux. Ses jours coulaient ainsi dans un repos animé par des occupations si agréables. On représentait à Paris son Oreste et Rome sauvée. Oreste fut joué sur la fin de 1749[1], et Rome sauvée en 1750[2].

Ces deux pièces sont absolument sans intrigue d’amour, ainsi que Mérope et la Mort de César. Il aurait voulu purger le théâtre de tout ce qui n’est point passion et aventure tragique. Il regardait Électre amoureuse comme un monstre orné de rubans sales ; et il a manifesté ce sentiment dans plus d’un ouvrage.

Nous avons retrouvé une lettre en vers au roi de Prusse, en lui envoyant le manuscrit d’Oreste[3].

Il faut avouer que rien n’était plus doux que cette vie, et que rien ne faisait plus d’honneur à la philosophie et aux belles lettres. Ce bonheur aurait été plus durable, et n’aurait point fait place enfin à un bonheur encore plus grand, sans une malheureuse dispute de physique-mathématique élevée entre Maupertuis, qui était aussi auprès du roi de Prusse, et Koenig, bibliothécaire de Mme  la princesse d’Orange à la Haye. Cette querelle était une suite de celle qui divisa longtemps les mathématiciens sur les forces vives et les forces mortes. On ne peut nier qu’il n’entre dans tout cela un peu de charlatanisme, ainsi qu’en théologie et en médecine. La question était au fond très-frivole, puisque, de quelque manière qu’on l’embrouille, on finit toujours par trouver les mêmes formules de calcul. Les esprits s’aigrirent ; Maupertuis fit condamner Koenig, en 1752, par l’Académie de Berlin, où il dominait, comme s’étant appuyé d’une lettre de feu Leibnitz, sans pouvoir produire l’original de cette lettre, que pourtant M. Wolff avait vu. Il fit plus, il écrivit à Mme  la princesse d’Orange pour la prier d’ôter à Koenig la place de son bibliothé-

  1. La première représentation est du 12 janvier 1750.
  2. La première représentation sur le Théâtre-Français est du 24 février 1752 ; mais l’auteur avait fait jouer Rome sauvée sur son théâtre de la rue Traversière à Paris, le 8 juin 1750.
  3. Voyez cette lettre, qui est du 17 mars 1750, tome XXXVII, page 114.