Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
COMMENTAIRE


Mersbourg, les armées française et autrichienne combinées, fort supérieures en nombre, tandis que le maréchal de Richelieu n’était pas loin avec une armée victorieuse. Ce monarque avait eu assez de présence d’esprit, et fut assez maître de ses idées, au milieu de ses infortunes, pour écrire au marquis d’Argens une longue épître en vers[1] dans laquelle il lui faisait part de la résolution qu’il avait prise de mourir s’il était battu, et lui disait adieu.

Nous avons cette pièce, qui est un monument sans exemple, écrite tout entière de sa main.

Nous avons un monument encore plus héroïque de ce prince philosophe : c’est une lettre à M. de Voltaire, du 9 octobre 1757, vingt-cinq jours[2] avant sa victoire de Rosbach :

« Je suis homme, il suffit, et né pour la souffrance ;
Aux rigueurs du destin j’oppose ma constance.

« Mais avec ces sentiments, je suis bien loin de condamner Caton et Othon. Le dernier n’a eu de beau moment en sa vie que celui de sa mort.

« Croyez que si j’étais Voltaire,
Et particulier comme lui,
Me contentant du nécessaire,

Je verrais voltiger la fortune légère,

Et m’en moquerais aujourd’hui.

. . . . . . . . . . . . . . .

Je connais l’ennui des grandeurs,

Le fardeau des devoirs, le jargon des flatteurs ;

Ces misères de toute espèce,
Et ces détails de petitesse,

Dont il faut s’occuper dans le sein des grandeurs.

Je méprise la vaine gloire,
Quoique poëte et souverain.

Quand du ciseau fatal retranchant mon destin,
Atropos m’aura vu plongé dans la nuit noire,

Qu’importe l’honneur incertain

De vivre après ma mort au temple de Mémoire ?
Un instant de bonheur vaut mille ans dans l’histoire.

  1. Voltaire en transcrit plusieurs passages dans ses Mémoires.
  2. La bataille de Rosbach étant du 5 novembre 1757 est antérieure de 27 jours à la lettre du 9 octobre, qui est tome XXXIX, page 280, mais que l’on a répétée ici parce que cela est nécessité par les premiers mots qui la suivent.