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HISTORIQUE.


Nos destins sont-ils donc si beaux ?
Le doux plaisir et la mollesse,
La vive et naïve allégresse,

Ont toujours fui des grands la pompe et les travaux.

Ainsi la fortune volage
N’a jamais causé mes ennuis ;
Soit qu’elle me flatte ou m’outrage.
Je dormirai toutes les nuits
En lui refusant mon hommage.
Mais notre état fait notre loi ;
Il nous oblige, il nous engage
À mesurer notre courage
Sur ce qu’exige notre emploi.
Voltaire, dans son ermitage,
Dans un pays dont l’héritage
Est son antique bonne foi,

Peut s’adonner en paix à la vertu du sage

Dont Platon nous marqua la loi.
Pour moi, menacé du naufrage.
Je dois, en affrontant l’orage.
Penser, vivre, et mourir en roi. »

Rien n’est plus beau que ces derniers vers ; rien n’est plus grand. Corneille dans son beau temps ne les eût pas mieux faits. Et quand, après de tels vers, on gagne une bataille, le sublime ne peut aller plus loin.

Le cardinal de Tencin continua toujours, mais en vain, ses négociations secrètes pour la paix, comme on le voit par ses lettres. Ce fut enfin le duc de Choiseul qui entama ce grand ouvrage si nécessaire[1], et le duc de Praslin qui l’accomplit ; service signalé qu’ils rendirent à la France appauvrie et désolée.

Elle était dans un état si déplorable que, pendant douze années de paix qui suivirent cette guerre funeste, de tous les ministres des finances qui se succédèrent rapidement il n’y en eut pas un qui, avec la meilleure volonté, et les travaux les plus assidus, pût parvenir à pallier seulement les plaies de l’État. La disette d’argent était au point qu’un contrôleur général fut obligé, dans une nécessité pressante, de saisir chez M. Magon, banquier du roi, tout l’argent que des citoyens y avaient mis en dépôt.

  1. Il s’était formé une autre négociation à Paris, par l’entremise du bailli de Froulai, autrefois ambassadeur de France à Berlin, et on avait consenti à recevoir un envoyé secret du roi de Prusse ; mais, sur les plaintes de la cour de Vienne, cet envoyé fut arrêté, mis à la Bastille, et ses papiers saisis. On prétend que ces choses-là sont permises en politique. (K.)