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ÉLOGE DE VOLTAIRE


neuves que de faire naître de la situation la plus pathétique ces traits de la plus haute philosophie ; que de faire douter dans Mahomet lequel est le plus terrible du tableau ou de la leçon ! Oh ! quel autre que l’ardent et courageux ennemi du fanatisme a pu traîner ainsi ce monstre sur la scène, lui arracher son masque imposteur, le montrer infectant de ses poisons l’âme la plus innocente, souillant la vertu même du plus affreux des crimes, et plaçant dans la main la plus pure le poignard du parricide ! Si vous doutez que cette image soit aussi fidèle qu’elle est effrayante, rappelez-vous que, comme autrefois l’hypocrisie s’était débattue contre Molière, qui la peignait dans toute sa bassesse, le fanatisme s’est efforcé d’échapper à Voltaire, qui le peignait dans toute son horreur.

Mais cette horreur s’arrête au terme que l’art lui a prescrit ; et ce même art sait la tempérer par la pitié. S’il serre l’âme, il la soulage. Le poëte, semblable à ce guerrier dont la lance guérissait les blessures qu’elle avait faites, sait mêler aux sentiments amers qui déchirent le cœur un sentiment plus doux qui le console ; il nous attendrit après nous avoir fait frémir, et nous délivre par les larmes de l’oppression qui nous tourmentait. Ce mélange heureux des émotions les plus douloureuses et les plus douces ; ce passage continuel et rapide de la terreur à l’attendrissement, de l’impression violente des peintures atroces au charme consolant des affections les plus chères de la nature ; ce secret de la tragédie, qui l’a jamais possédé comme l’auteur de Mahomet et de Sémiramis ? Si vous avez entendu Zopire s’écrier d’une voix mourante :

. . . . . . . . . . . . . . J’embrasse mes enfants ;

si vous avez vu Sémiramis aux genoux de son fils, arrosant ses mains de larmes en lui demandant la mort, rappelez-vous comme à ce moment se sont échappés de vos yeux les pleurs que vous aviez besoin de répandre, et combien ils ont adouci l’horreur profonde et la sombre épouvante que vous avaient inspirées Mahomet armant le fils contre le père, et les mânes de Ninus menaçant Sémiramis.

C’est dans ce drame auguste et pompeux, rempli d’une terreur religieuse, et sur lequel semble s’arrêter, dès la première scène, un nuage qui renferme les secrets du ciel et des enfers, et d’où sort enfin la vengeance ; c’est dans cette tragédie sublime, aussi imposante qu’Athalie, et plus intéressante ; c’est dans le troisième acte de Tancrède, dans le cinquième de Mérope, dans le premier de Brutus, que la scène s’est agrandie par un appareil qu’elle avait eu bien rarement depuis les Grecs.

Eh ! n’était-ce pas encore une nouvelle richesse que cette peinture des nations qui a donné aux ouvrages de Voltaire un coloris si brillant et si varié ? Sans doute ce mérite ne fut pas étranger au peintre de la grandeur romaine[1], encore moins à celui[2] qui traça avec tant de fidélité et d’énergie

  1. Corneille.
  2. Racine.