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PAR LA HARPE.


pas moins immortels, ne sont pas moins les bienfaiteurs de la langue française, et l’honneur éternel de leur nation, quoiqu’ils n’aient pas expliqué les découvertes de Galilée, ni disputé à Pascal la gloire de ses recherches géométriques. Mais ne devons-nous pas un tribut particulier d’admiration à ce génie si avide et si mobile qui composait à la fois Brutus et les Lettres sur la Métaphysique de Locke, Zaïre et l’Histoire de Charles XII, et envoyait à Paris, avec Alzire, les Éléments de Newton ?

Quelle est cette trempe d’esprit extraordinaire que rien ne peut ni émousser ni affaiblir ; cette chaleur d’imagination que rien ne refroidit ; cette force constante et flexible d’une tête que rien ne peut ni épuiser ni remplir ? Enfin, quel est cet homme qui, d’un moment à l’autre, passe avec tant de facilité des élans du génie qui enfante, au travail de la raison qui calcule ; quitte les illusions de la scène pour les vérités de l’histoire ; et, rendant Racine aux Français, leur fait connaître en même temps Locke, Shakespeare et Newton ?

Y avait-il, parmi tant de travaux, des délassements et des loisirs ? oui ; et c’était une foule de productions de tout genre qui auraient encore été pour tout autre des travaux et des titres, mais qui n’étaient que les jeux de son inépuisable facilité, et semblaient se perdre dans l’immensité de sa gloire : des contes charmants, des romans d’une originalité piquante, où la raison consent à amuser la frivolité française, pour obtenir le droit de l’instruire, nous fait rire de nos travers, de nos inconséquences, de nos injustices, et nous conduit par degrés à rougir et à nous corriger ; des essais dans chaque partie de la littérature, toujours reconnaissables à cet agrément qui embellit tous les sujets, et qui attache tous les lecteurs ; des morceaux pleins de grâce ou d’intérêt, ou de bonne plaisanterie, ou d’éloquence : Zadig, Nanine, Candide, le Traité de la Tolérance ; mille autres dont les titres innombrables n’ont été retenus que parce que les presses de l’Europe ne se sont point lassées de les reproduire, ni les lecteurs de toutes les nations de les dévorer.

De cette hauteur où nous a portés la contemplation de son génie, abaissons maintenant nos regards sur les effets qu’il a produits. Nous avons suivi l’astre dans son cours ; examinons les objets éclairés de sa lumière. En regardant autour de nous, reconnaissons les traces de la pensée législatrice, et cette influence de l’écrivain supérieur qui a instruit la postérité, et dominé ses contemporains.

SECONDE PARTIE.

Cette domination, qui naît de l’ascendant d’un grand homme, a, comme toute autre espèce d’empire, ses dangers et ses abus, qu’il ne faut pas reprocher à celui qui l’exerce : ce serait lui interdire la liberté de rien tenter que de le rendre garant des fautes de ses imitateurs. Ainsi les révolutions que Voltaire a faites dans les lettres, dans l’histoire et le théâtre, et dont je viens de suivre le cours en même temps que celui de ses travaux,