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PAR LA HARPE.


chait, il se hâtait de remplir les moments qu’il pouvait lui dérober, et de les ajouter à sa renommée.

Mais il n’était plus en son pouvoir d’y rien ajouter, et l’envie même ne lui en contestait plus ni l’étendue ni la durée. L’absence avait commencé à affermir parmi nous l’édifice de sa réputation, et ses longues années l’avaient achevé. Vieilli loin de nous, Voltaire s’était agrandi à nos yeux. Il semble que le génie, quand nous le voyons de près, tienne trop à l’humanité : il faut qu’il y ait une distance entre lui et nous, pour ne laisser voir que ce qu’il a de divin. Il faut le placer dans l’éloignement, comme la Divinité dans les temples : tant il est vrai qu’en tout genre les hommes ont besoin de barrières pour sentir le respect !

Le temps, qui mûrit tout, avait enfin mis Voltaire à sa place, et c’était celle du premier des êtres pensants. Le temps avait moissonné tout ce qui pouvait prétendre à quelque concurrence, tout ce qui portait un nom fait pour servir de ralliement à l’inimitié et à la jalousie. Il restait bien peu de ceux qui, l’ayant vu naître, pouvaient être moins accoutumés à son élévation, parce qu’ils avaient été témoins de ses commencements et de ses progrès. Tout ce qui, depuis quarante ans, était entré dans le monde, l’avait trouvé déjà rempli du nom et des écrits de Voltaire. La scène ne retentissait que de ses vers. Les femmes, dont il flattait la sensibilité vive et le goût délicat ; la jeunesse, qu’il instruisait à penser ; les vrais connaisseurs, dont la voix avait entraîné tous les suffrages, qu’à la longue elle maîtrise toujours ; en un mot, tous les hommes éclairés et justes lui rendaient un hommage dont l’expression était un enthousiasme : car il ne pouvait pas inspirer un sentiment médiocre ; à son égard l’admiration était un culte, et la haine était de la rage. Mais les ennemis qu’il avait encore étaient d’une espèce propre à rehausser sa gloire, loin de l’altérer. Ce n’étaient plus des hommes qui eussent le moindre prétexte de lui rien disputer ; c’étaient de vils satiriques en prose plate et grossière, et en vers froids et durs[1], qui n’avaient d’autre instinct que celui de la méchanceté impuissante, d’autre moyen de subsister que le mal qu’ils disaient de lui ; son nom seul donnait quelque cours à leurs satires éphémères. Ces malheureux, vendus à un parti assez maladroit pour les encourager, désavoués par le bon sens, la vérité et le public, osaient, pour dernière ressource, invoquer la religion, en violant le premier de ses préceptes ; ils mêlaient la sainteté de ce nom à l’horreur de leurs libelles, et, mal couverts du masque de l’hypocrisie, ne cachaient pas même la bassesse de leurs motifs, en défendant une cause respectable.

Ô vous, qui avez fait revivre l’éloquence des Bossuet et des Massillon, c’est vous, ô dignes pasteurs ! dont la plume vraiment évangélique nous a montré la loi éternelle et immuable, telle qu’elle est née dans le ciel et gravée dans les âmes pures. Votre doctrine est consolante, comme celle du maître dont vous répétez les leçons ; votre zèle éclaire et n’insulte pas ; vous parlez aux cœurs, bien loin de révolter les esprits, et vous n’opposez aux

  1. C’est surtout Clément, de Dijon, que La Harpe désigne ici.