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VIE DE VOLTAIRE.

C’est à la Bastille que le jeune poëte ébaucha le poëme de la Ligue, corrigea sa tragédie d’Œdipe, commentée longtemps auparavant, et fit une pièce de vers[1] fort gaie sur le malheur d’y être. M. le duc d’Orléans, instruit de son innocence, lui rendit sa liberté, et lui accorda une gratification.

« Monseigneur, lui dit Voltaire, je remercie Votre Altesse royale de vouloir bien continuer à se charger de ma nourriture ; mais je la prie de ne plus se charger de mon logement. »

La tragédie d’Œdipe fut jouée en 1718[2]. L’auteur n’était encore connu que par des pièces fugitives, par quelques épîtres où l’on trouve la philosophie de Chaulieu, avec plus d’esprit et de correction, et par une ode[3] qui avait disputé vainement le prix de l’Académie française. On lui avait préféré une pièce ridicule de l’abbé du Jarry. Il s’agissait de la décoration de l’autel de Notre-Dame, car Louis XIV s’était souvenu, après soixante et dix ans de règne, d’accomplir cette promesse de Louis XIII ; et le premier ouvrage en vers sérieux que Voltaire ait publié fut un ouvrage de dévotion.

Né avec un goût sur et indépendant, il n’aurait pas voulu mêler l’amour à l’horreur du sujet d’Œdipe, et il osa même présenter sa pièce aux comédiens, sans avoir payé ce tribut à l’usage ; mais elle ne fut pas reçue. L’assemblée trouva mauvais que l’auteur osât réclamer contre son goût. « Ce jeune homme mériterait bien, disait Dufresne, qu’en punition de son orgueil on jouât sa pièce avec cette grande vilaine scène traduite de Sophocle. »

Il fallut céder, et imaginer un amour épisodique et froid. La pièce réussit ; mais ce fut malgré cet amour, et la scène de Sophocle en fit le succès. Lamotte, alors le premier homme de la littérature, dit, dans son approbation[4], que cette tragédie promettait un digne successeur de Corneille et de Racine ; et cet hommage rendu par un rival dont la réputation était déjà faite, et qui pouvait craindre de se voir surpasser, doit à jamais honorer le caractère de Lamotte.

    ces mots : Regnante puero. Il faut convenir que si Voltaire est auteur de ce morceau, il a bien changé depuis d’opinion sur le compte du régent, car il n’a cessé de le défendre des accusations odieuses répandues contre lui (voyez tome XIV, page 477 ; XV, 125 ; XXVII, 265). (B.)

    C’était sur la dénonciation d’un nommé Beauregard (voyez, dans les Documents biographiques, le Mémoire instructif, etc).

    Il paraît que la police mit une grande activité dans ses recherches. Le commissaire Ysabeau fut chargé d’aller fouiller les latrines de la maison où demeurait Voltaire. Il n’y trouva rien (voyez Documents biographiques).

    Ce n’est que le 11 avril 1718 que fut donné l’ordre de mise en liberté de Voltaire, et en même temps de son exil à Chatenay.

    Ainsi cette première détention de Voltaire dura près de onze mois.

    Le 19 mai 1718, il demanda la permission de venir à Paris pour deux heures seulement. Le 29 mai, il obtint d’y venir vingt-quatre heures. D’autres permissions, pour un plus long temps, lui furent accordées. Enfin son exil fut levé le 12 octobre 1718 (voyez la Revue rétrospective, tome II, pages 124 et suiv.).

  1. La Bastille ; voyez tome IX, page 353.
  2. Le 18 novembre.
  3. L’Ode sur le vœu de Louis XIII est de 1712 ; voyez tome VIII, page 407. L’Ode sur sainte Geneviève est de 1709 ; voyez tome VIII, page 403.
  4. Voici le texte de cette approbation : « J’ai lu, par ordre de monseigneur le garde des sceaux, Œdipe, tragédie. Le public, à la représentation de cette pièce, s’est promis un digne successeur de Corneille et de Racine ; et je crois