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VIE DE VOLTAIRE.

Le duc de Richelieu avait été l’ami de Voltaire dès l’enfance. Voltaire, qui eut souvent à s’en plaindre, conserva pour lui ce goût de la jeunesse que le temps n’efface point, et une espèce de confiance que l’habitude soutenait plus que le sentiment ; et le maréchal de Richelieu demeura fidèle à cet ancien attachement, autant que le permit la légèreté de son caractère, ses caprices, son petit despotisme sur les théâtres, son mépris pour tout ce qui n’était pas homme de la cour, sa faiblesse pour le crédit, et son insensibilité pour ce qui était noble ou utile.

Il servit alors Voltaire auprès de Mme  de Châteauroux ; mais M. de Maurepas n’aimait pas Voltaire. L’abbé de Chaulieu avait fuit une épigramme contre Œdipe[1], parce qu’il était blessé qu’un jeune homme, déjà son rival dans le genre des poésies fugitives, mêlées de philosophie et de volupté, joignît à cette gloire celle de réussir au théâtre ; et M. de Maurepas, qui mettait de la vanité à montrer plus d’esprit qu’un autre dans un souper, ne pardonnait pas à Voltaire de lui ôter trop évidemment cet avantage, dont il n’était pas trop ridicule alors qu’un homme en place pût être flatté.

Voltaire avait essayé de le désarmer par une épître[2], où il lui donnait les louanges auxquelles le genre d’esprit et le caractère de M. de Maurepas pouvaient prêter le plus de vraisemblance. Cette épître, qui renfermait autant de leçons que d’éloges, ne changea rien aux sentiments du ministre. Il se lia, pour empêcher Voltaire d’entrer à l’Académie, avec le théatin Boyer, que Fleury avait préféré, pour l’éducation du dauphin, à Massillon, dont il craignait les talents et la vertu, et qu’il avait ensuite désigné au roi, en mourant, pour la feuille des bénéfices, apparemment dans l’espérance de se faire regretter des jansénistes. D’ailleurs M. de Maurepas était bien aise de trouver une occasion de blesser, sans se compromettre, Mme  de Châteauroux, dont il connaissait toute la haine pour lui. Voltaire, instruit de cette intrigue, alla trouver le ministre, et lui demanda si, dans le cas où Mme  de Châteauroux secondât son élection, il la traverserait : Oui, lui répondit le ministre, et je vous écraserai[3].

  1. Voyez cette épigramme, tome II, page 7.
  2. L’épître lviii, tome X, page 314.
  3. Dans le dessein constant d’être juste envers tout le monde, nous devons dire ici que depuis la mort de Voltaire, ayant parlé de cette anecdote à M. le comte de Maurepas, au caractère duquel ce mot nous parut étranger, il nous répondit, en riant, que c’était le roi lui-même qui n’avait pas voulu que Voltaire succédât au cardinal de Fleury dans sa place d’académicien, Sa Majesté trouvant qu’il y