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VIE DE VOLTAIRE

Voltaire, retiré à Ferney, donna pour l’Encyclopédie un petit nombre d’articles de littérature[1] ; il en prépara quelques-uns de philosophie, mais avec moins de zèle, parce qu’il sentait qu’en ce genre les éditeurs avaient moins besoin de lui, et qu’en général si ses grands ouvrages en vers ont été faits pour sa gloire, il n’a presque jamais écrit en prose que dans des vues d’utilité générale. Cependant les mêmes raisons qui l’intéressaient au progrès de l’Encyclopédie suscitèrent à cet ouvrage une foule d’ennemis. Composé ou applaudi par les hommes les plus célèbres de la nation, il devint comme une espèce de marque qui séparait les littérateurs distingués, et ceux qui s’honoraient d’être leurs disciples ou leurs amis, de cette foule d’écrivains obscurs et jaloux qui, dans la triste impuissance de donner aux hommes ou des vérités nouvelles ou de nouveaux plaisirs, haïssent ou déchirent ceux que la nature a mieux traités.

Un ouvrage où l’on devait parler avec franchise et avec liberté de théologie, de morale, de jurisprudence, de législation, d’économie publique, devait effrayer tous les partis politiques ou religieux, et tous les pouvoirs secondaires qui craignaient d’y voir discuter leur utilité et leurs titres. L’insurrection fut générale. Le Journal de Trévoux, la Gazette ecclésiastique, les journaux satiriques, les jésuites et les jansénistes, le clergé, les parlements, tous, sans cesser de se combattre ou de se haïr, se réunirent contre l’Encyclopédie. Elle succomba. On fut obligé d’achever et d’imprimer en secret cet ouvrage, à la perfection duquel la liberté et la publicité étaient si nécessaires ; et le plus beau monument dont jamais l’esprit humain ait conçu l’idée serait demeuré imparfait sans le courage de Diderot, sans le zèle d’un grand nombre de savants et de littérateurs distingués que la persécution ne put arrêter.

Heureusement l’honneur d’avoir donné l’Encyclopédie à l’Europe compensa pour la France la honte de l’avoir persécutée. Elle fut regardée avec justice comme l’ouvrage de la nation, et la persécution comme celui d’une jalousie ou d’une politique également méprisables.

Mais la guerre dont l’Encyclopédie était l’occasion ne cessa point avec la proscription de l’ouvrage. Ses principaux auteurs et leurs amis, désignés par les noms de philosophes et d’encyclopédistes, qui devenaient des injures dans la langue des ennemis de la raison, furent forcés de se réunir par la persécution même, et Voltaire se trouva naturellement leur chef par son âge, par sa célébrité, son zèle et son génie. Il avait depuis longtemps des amis et un grand nombre d’admirateurs ; alors il eut un parti. La persécution rallia sous son étendard tous les hommes de quelque mérite, que peut-être sa supériorité aurait écartés de lui, comme elle en avait éloigné leurs prédécesseurs ; et l’enthousiasme prit enfin la place de l’ancienne injustice.

  1. Pour les lettres E, F, G, H. Ils ont été placés par les éditeurs de Kehl, et laissés dans le Dictionnaire philosophique.