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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

veraine, et lui l’esclave. Je suis très-fâchée de leur départ, quoique excédée de ses diverses volontés, dont elle m’avait remis l’exécution.

Le plaisir de faire rire d’aussi honnêtes gens que ceux que vous me marquez s’être divertis de mes lettres me ferait encore supporter cette onéreuse charge ; mais voilà la scène finie et mes récits terminés. Il y a bien encore de leur part quelques ridicules éparpillés que je pourrai vous ramasser au premier moment de loisir ; pour aujourd’hui, je ne puis aller plus loin.

Adieu, ma reine ; je vous prie de vous guérir parfaitement, de me mander avec la plus grande exactitude comment vous vous portez.


Anet, mercredi 30 août 1747.

J’espérais apprendre hier de vos nouvelles, ma reine. Si je n’en ai pas demain, je serai tout à fait en peine de vous. Notre princesse a écrit au président[1], et l’invite à venir ici et à vous y amener : vous savez cela sans doute ? J’ai fait ce que j’ai pu pour la détourner de cette démarche, qui pourra être infructueuse et dont le mauvais succès la fâchera. Si votre santé et les dispositions du président se trouvent favorables, cela sera charmant ; en tout cas, on vous garde un bon appartement : c’est celui dont Mme du Châtelet, après une revue exacte de toute la maison, s’était emparée. Il y aura un peu moins de meubles qu’elle n’y en avait mis, car elle avait dévasté tous ceux par où elle avait passé pour garnir celui-là. On y a retrouvé six ou sept tables : il lui en faut de toutes les grandeurs, d’immenses pour étaler ses papiers, de solides pour soutenir son nécessaire, de plus légères pour les pompons, pour les bijoux ; et cette belle ordonnance ne l’a pas garantie d’un accident pareil à celui qui arriva à Philippe II quand, après avoir passé la nuit à écrire, on répandit une bouteille d’encre sur ses dépêches. La dame ne s’est pas piquée d’imiter la modération de ce prince, aussi n’avait-il écrit que sur des affaires d’État, et ce qu’on lui a barbouillé, c’était de l’algèbre, bien plus difficile à remettre au net.

En voilà trop sur le même sujet, qui doit être épuisé ; je vous en dirai pourtant encore un mot, et cela sera fini. Le lendemain du départ, je reçois une lettre de quatre pages, de plus un billet dans le même paquet qui m’annonce un grand désarroi. M. de Voltaire a égaré sa pièce, oublié de retirer les rôles, et perdu le prologue ; il m’est enjoint de retrouver le tout, d’envoyer au plus vite le prologue, non par la poste, parce qu’on le copierait, de garder les rôles, crainte du même accident, et d’enfermer la pièce sous cent clefs. J’aurais cru un loquet suffisant pour garder ce trésor ! J’ai bien et dûment exécuté les ordres reçus.

  1. Le président Hénault (1685-1770), ami très-intime de Mme du Deffant.