Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

je l’ai fait à la hâte, à la lumière et au travers de grimaces qu’il fait toujours quand on veut le peindre ; mais le caractère de la figure est saisi, et c’est l’essentiel. Il vaut mieux qu’un dessin soit bien commencé que bien fini, parce qu’on commence par l’ensemble et qu’on finit par les détails.

Je continue à m’amuser ici : je suis toujours fort aimé, quoique j’y sois toujours. Vous ne sauriez vous figurer combien l’intérieur de cet homme-ci est aimable : il serait le meilleur vieillard du monde s’il n’était point le premier des hommes ; il n’a que le défaut d’être fort renfermé ; et, sans cela, il ne serait point aussi répandu. Il est venu hier chez lui un Anglais qui ne peut se lasser de l’entendre parler anglais, et réciter tous les poëmes de Dryden comme Panpan récite la Jeanne. Cet homme-là est trop grand pour être contenu dans les limites de son pays ; c’est un présent que la nature a fait à toute la terre. Il a le don des langues et des in-folio, car on en sait pas comment il a eu le temps d’apprendre les unes et de lire les autres.


LIV.


LE BARON DE GRIMM

À LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].

(FRAGMENT).

30 juin 1765.

Il est vrai que la Philosophie de l’histoire sent le fagot comme le Portatif ; mais Votre Altesse ne s’amuse-t-elle pas de la bonne foi avec laquelle ce vieil enfant de Ferney croit que rien n’est plus aisé que de persuader aux gens que tout cela ne vient pas de lui ? Et le sérieux qu’il met à se cacher, et toutes les lettres qu’il écrit pour donner le change là-dessus, et ce zèle infatigable de l’apostolat, et ce courage, et puis des peurs ! Tout cela est bien plaisant.


LV.


GRÉTRY À FERNEY[2].

1766.

Arrivé à Turin, j’y retrouvai un baron allemand que j’avais connu à Rome. Il me proposa de faire route ensemble pour Genève : il était pressé, et nous partîmes le lendemain… Je quittai mon baron à Genève, et je m’en

  1. Correspondance, tome XVI, page 435.
  2. Grétry, Mémoires ou Essai sur la Musique, Paris, an V, tome I, pages 127 et suiv. — À l’époque de son séjour à Genève, qui se prolongea environ six mois, et pendant lequel il fit de fréquentes visites à Ferney, Grétry avait vingt-cinq ans, et revenait de Rome, où il avait habité depuis 1759, et donné son premier opéra la Vendemiatrice, en 1765.