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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

Il faut se rappeler que quand il fit ce calembour sur les femmes, il était dans sa quatre-vingt-troisième année.

Sherlock. — Leur langue ?

Voltaire. — Énergique, précise et barbare : c’est la seule nation qui prononce leur A, e.

Il citait le mot Handkerchief pour preuve de la bizarrerie de leur prononciation.

Il raconta une anecdote de Swift. Milady Cartwright, femme du vice-roi d’Irlande, dans le temps de Swift, lui disait : « L’air de ce pays-ci est bon. » Swift se jeta à genoux : « De grâce, milady, ne dites pas cela en Angleterre, ou ils y mettraient un impôt. »

Il dit ensuite que, quoiqu’il ne pût pas prononcer parfaitement l’anglais, son oreille était sensible à l’harmonie de leur langue et de leur versification ; que Pope et Dryden avaient le plus d’harmonie dans la poésie, Addison dans la prose.

Voltaire. — Comment avez-vous trouvé les Français ?

Sherlock. — Aimables et spirituels ; je ne leur ai trouvé qu’un seul défaut, ils imitent trop les Anglais.

Voltaire. — Comment, vous nous trouvez dignes d’être originaux nous-mêmes ?

Sherlock. — Oui, monsieur.

Voltaire. — Et moi aussi ; mais c’est de votre gouvernement que nous sommes jaloux.

Sherlock. — J’ai trouvé les Français plus libres que je ne les avais crus.

Voltaire. — Oui, quant à se promener, à manger tout ce qu’il veut, à se reposer sur son fauteuil, le Français est assez libre. Mais quant aux impôts..... Ah ! monsieur, que vous êtes heureux ; vous pouvez faire tout ; nous sommes nés dans l’esclavage, et nous mourrons dans l’esclavage ; nous ne pouvons pas même mourir comme nous voulons, il faut avoir un prêtre.

En parlant ensuite de notre gouvernement, il disait : « Les Anglais se vendent, ce qui est une preuve qu’ils valent quelque chose ; nous autres Français, nous ne nous vendons point ; vraisemblablement, c’est que nous ne valons rien. »

Sherlock. — Que pensez-vous de l’Héloïse ?

Voltaire. — Elle ne se lira plus dans vingt ans.

Sherlock. — Mlle de Lenclos[1] a bien écrit ses lettres.

Voltaire. — Elle n’en a jamais écrit une ; c’était ce malheureux Crébillon.

Il disait que les Italiens étaient une nation de fripiers ; que l’Italie était une garde-robe, dans laquelle il y avait beaucoup de vieux habits d’un goût parfait. « C’est encore à savoir, dit-il, lesquels des sujets du Grand Turc ou du pape sont les plus vils. »

  1. Il s’agit ici des Lettres de Ninon de Lenclos au marquis de Sévigné, Paris. 1752, 2 vol. in-12.