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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

saires ; mais, après les premières hostilités commises, il s’est montré comme un lion sorti de son repaire, et fatigué de l’aboiement des roquets qu’il a fait taire par le seul aspect de sa crinière hérissée. Il y en a quelques-uns qu’il a écrasés en les courbant sous sa patte majestueuse ; les autres ont pris la fuite.

Je lui ai entendu dire mille fois qu’il était au désespoir de n’avoir pu être l’ami de Crébillon ; qu’il avait toujours estimé son talent plus que sa personne, mais qu’il ne lui pardonnerait jamais d’avoir refusé d’approuver Mahomet.

Je ne dirai rien de la sublimité de ses talents en tout genre. Il n’en est aucun où il n’ait répandu beaucoup d’érudition, de grâce, de goût, et de philosophie. Du reste, c’est à l’Europe entière à faire son éloge. Ses ouvrages, répandus d’un pôle à l’autre, sont des matériaux suffisants pour l’entreprendre. Heureux celui qui saura les apprécier, et parler dignement d’un homme aussi célèbre et aussi rare ! Tout le monde connaît sa facilité pour écrire, mais personne n’a vu ce dont mes yeux ont été les témoins pour sa tragédie de Zulime.

Son secrétaire avait égaré ou brûlé, comme brouillon inutile, le cinquième acte de cette tragédie. M. de Voltaire le refit de nouveau en très-peu de temps, et sur de nouvelles idées qui lui furent suscitées par les circonstances.

Je lui ai vu faire un nouveau rôle de Cicéron, dans le quatrième acte de Rome sauvée, lorsque nous jouâmes cette pièce au mois d’auguste 1700, sur le théâtre de Mme  la duchesse du Maine, au château de Sceaux. Je ne crois pas qu’il soit possible de rien entendre de plus vrai, de plus pathétique et de plus enthousiaste que M. de Voltaire dans ce rôle. C’était, en vérité, Cicéron lui-même tonnant de la tribune aux harangues sur le destructeur de la patrie, des lois, des mœurs et de la religion. Je me souviendrai toujours que Mme  la duchesse du Maine, après lui avoir témoigné son étonnement et son admiration sur ce nouveau rôle, qu’il venait de composer, lui demanda quel était celui qui avait joué le rôle de Lentulus Sura, et que M. de Voltaire lui répondit : Madame, c’est le meilleur de tous. Ce pauvre hère qu’il traitait avec tant de bonté, c’était moi-même ; et ce n’était pas ce qui flatta le plus les marquis, les comtes et les chevaliers dont j’étais alors le camarade.

Je ne finirai point cet article sans citer encore quelques anecdotes qui sont à ma connaissance, et qui serviront peut-être à donner encore quelques idées particulières du caractère de M. de Voltaire.

Personne n’ignore qu’à la mort du célèbre Baron, ainsi qu’à la retraite de Beaubourg, l’emploi tragique et comique de ces deux grands comédiens fut donné à Sarrasin, qui ne suivait alors que de bien loin les traces de ses maîtres. C’est ce qui lui attira une assez bonne plaisanterie de M. de Voltaire, lorsque ce dernier le chargea du rôle de Brutus dans la tragédie de ce nom. On répétait la pièce au théâtre, et la mollesse de Sarrasin dans son invocation au dieu Mars, le peu de fermeté, de grandeur et de majesté, qu’il mettait dans le premier acte, impatienta tellement M. de Voltaire qu’il