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HISTOIRE POSTHUME

Ce procès-verbal, pour constater ce point de vraisemblance et la vérité de cette déclaration, est demeuré ci-joint à la réquisition des parties, qui l’ont certifié véritable, signé et paraphé en notre présence et celle du notaire avec nous soussigné[1].

Monsieur l’abbé Mignot et monsieur d’Hornoy, de retour des obsèques de monsieur de Voltaire faites à l’abbaye de Scellières, apprirent par la voix publique que le cœur de leur oncle, qu’ils venaient d’inhumer, était dans la possession de monsieur de Villette, et qu’il se proposait même de lui faire des obsèques particulières dans la chapelle de son château.

Frappés l’un et l’autre de ce que cette action pourrait présenter d’illégal, même de contraire aux formes et usages ecclésiastiques, ils en instruisirent madame Denis, qui assura et assure encore n’avoir donné aucun consentement formel, mais seulement une adhésion verbale peu réfléchie en raison du trouble où la jetait la douleur dont elle était pénétrée. Tous trois s’accordèrent pour demander à monsieur de Villette, ce qu’ils firent avec instances, qu’il voulût bien rendre le cœur de leur oncle pour le réunir sans éclat à sa sépulture.

Monsieur de Villette l’ayant constamment refusé en présence de plusieurs amis, les sieurs et dame comparants lui ont déclaré et lui déclarent qu’ils ne consentent point à cette distraction illégale ; qu’ils consentent encore moins aux obsèques que monsieur de Villette se propose de faire faire dans la chapelle de son château ; attendu premièrement, que ce cœur ne lui a été concédé ni par le défunt, ni par personne qui eût qualité pour faire seule cette cession. Secondement, il n’a obtenu aucun consentement ni de l’Église, ni du magistrat ; que l’un et l’autre étaient indispensables. Troisièmement, rien ne constate que ce qui est entre les mains de monsieur de Villette soit véritablement le cœur du défunt, puisqu’aucun acte n’en fait foi, et que le procès-verbal d’embaumement semble prouver le contraire par son silence à cet égard. Quatrièmement, et enfin, parce que ce cœur ne peut être remis légalement dans le lieu de sa destination.

Le cœur d’un défunt peut, il est vrai, être transporté avec les formalités requises dans une église paroissiale, monastère, chapelle ou église quelconque, pourvu qu’elle soit publique et foadée à perpétuelle demeure ; mais il ne peut jamais l’être et aucune inhumation ne peut avoir lieu dans l’ordre ordinaire des choses, dans une chapelle domestique, d’une érection éphémère, qui n’a d’existence et de durée qu’autant qu’il plaît à l’évêque diocésain ou au maître de l’habitation dont cette chapelle fait partie : le premier peut effectivement l’interdire à tout instant et à son gré ; le second peut également la détruire et la convertir à des usages profanes.

  1. C’est la pièce n° III.