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JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

Dans la philosophie expérimentale... je suis enclin à croire que sa perspicacité, son ardeur au travail, sa sagacité, et par-dessus tout son courageux mépris de toute opinion reçue, ainsi que son habitude si profondément enracinée de juger chaque proposition à sa propre valeur, l’auraient placé par ses découvertes scientifiques à la tête de son siècle.

Si grands qu’aient été ses services littéraires, et aucun homme de lettres n’en a rendu de plus éminents, — ils sont encore d’une valeur bien inférieure aux bienfaits qui ont résulté de sa longue et ardente lutte contre l’oppression, et surtout contre la tyrannie dans sa forme la plus détestable, la persécution des opinions.

Toutes ses grossièretés... tout ce qui rend la lecture de ses ouvrages dégoûtante en beaucoup d’endroits et blessante pour la décence la plus commune dans certains autres... est pardonné, — non, oublié, — quand on contemple cet homme dont on peut dire : Il a brisé nos chaînes. (Article Voltaire.)

A. VINET.

C’est par le nombre et l’immensité de leurs travaux que Bossuet et Voltaire ont chacun dominé leur siècle…. Il y a entre leurs deux destinées, entre leurs deux rôles, plus d’un contraste et plus d’un rapport....

... Ils ont fait, l’un et l’autre, de leur temps et de leurs facultés, tout ce qu’un homme en peut faire.... Bossuet paraît au juste moment, sur tous les points attaqués ; Voltaire, l’envahisseur, se répand, si l’on peut dire ainsi, dans toutes les directions, occupe tous les postes, ou, vingt fois abandonnant chaque position, vingt fois l’attaque et la reprend....

Bossuet eut des disciples respectueux, Voltaire des partisans dévoués ; Bossuet s’associa des collaborateurs. Voltaire des agents et presque des complices : l’un gouvernait, l’autre conspirait.... La grande différence, c’est qu’il (Bossuet) eut un public, et que Voltaire eut un peuple. Ce peuple, Voltaire le créa, ou plutôt ses écrits l’évoquèrent.

Voltaire n’a pas eu ce miroir intérieur où l’homme se réfléchit ; il ne connut jamais le repentir, qui est une réflexion sur soi-même ; il a persisté dans sa longue carrière sans conscience de soi. Il a été l’homme naturel sans résistance ni contre-poids.

Voltaire a une autre force...., il est le seul qui ait été, je ne dis pas universel, je dis encore moins étendu, mais le seul qui ait été flexible à ce degré, et brillant là même où il est moins solide et moins fort que tel autre.... Nulle part peut-être il n’est le premier, sinon dans la poésie fugitive, où il demeure sans égal ; mais il est partout, et partout il étincelle. Sa spécialité, c’est de n’être pas spécial.

Voltaire a introduit un élément nouveau : la manière de comprendre la vie....

Le caractère de Voltaire n’offre point la dignité des existences harmonieuses, mais il a la force qui se joint à l’irrégularité d’une nature vivement contrastée. Aucun homme n’a été composé d’antithèses plus répétées.

... Il veut des améliorations dans le régime social ; mais il rejette avec colère tout ce qui pourrait atteindre à la racine des maux contre lesquels il réclame.... La grossière indécence de ses attaques est devenue proverbiale. Il fait continuellement appel aux préjugés, au lieu d’élever les esprits aux généralités où il avait pu parvenir lui-même....