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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/59

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xlix
JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

tenir l’idée. Ah ! qu’il nous a fait du mal ! Semblable à cet insecte, le fléau des jardins, qui n’adresse ses morsures qu’à la racine des plantes les plus précieuses, Voltaire, avec son aiguillon, ne cesse de piquer les deux racines de la société, les femmes et les jeunes gens ; il les imbibe de ses poisons, qu’il transmet d’une génération à l’autre. C’est en vain que, pour voiler d’inexprimables attentats, ses stupides admirateurs nous assourdissent de tirades sonores où il a parlé supérieurement des objets les plus vénérés. Ces aveugles volontaires ne voient pas qu’ils achèvent ainsi la condamnation de ce coupable écrivain. Si Fénelon, avec la même plume qui peignit les joies de l’Élysée, avait écrit le livre du Prince, il serait mille fois plus vil et plus coupable que Machiavel. Le grand crime de Voltaire est l’abus du talent et la prostitution d’un génie créé pour célébrer Dieu et la vertu. Il ne saurait alléguer, comme tant d’autres, la jeunesse, l’inconsidération, l’entraînement des passions et, pour terminer enfin, la triste faiblesse de notre nature. Rien ne l’absout : sa corruption est d’un genre qui n’appartient qu’à lui ; elle s’enracine dans les dernières fibres de son cœur, et se fortifie de toutes les forces de son entendement. Toujours alliée au sacrilége, elle brave Dieu en perdant les hommes. Avec une fureur qui n’a pas d’exemple, cet insolent blasphémateur en vient à se déclarer l’ennemi personnel du Sauveur des hommes ; il ose, du fond de son néant, lui donner un nom ridicule ; et cette loi admirable que l’Homme-Dieu apporta sur la terre, il l’appelle l’infâme. Abandonné de Dieu, qui punit en se retirant, il ne connaît plus de frein. D’autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonne le vice. Il se plonge dans la fange, il s’y roule, il s’en abreuve ; il livre son imagination à l’enthousiasme de l’enfer, qui lui prête toutes ses forces pour le traîner jusqu’aux limites du mal. Il invente des prodiges, des monstres qui font pâlir. Paris le couronna, Sodome l’eût banni. Profanateur effronté de la langue universelle et de ses plus grands noms, le dernier des hommes après ceux qui l’aiment ! Comment vous peindrais-je ce qu’il me fait éprouver ? Quand je vois ce qu’il pouvait faire et ce qu’il a fait, ses inimitables talents ne m’inspirent plus qu’une espèce de rage sainte qui n’a pas de nom. Suspendu entre l’admiration et l’horreur, quelquefois je voudrais lui faire élever une statue… par la main du bourreau. (Soirées de Saint-Pétersbourg. IVe Entretien.)

LORD BROUGHAM.

À la mention de Voltaire, la première idée qui se présente à l’esprit n’est pas celle d’un philosophe que ses investigations ont conduit au doute sur les bases de la religion ou même jusqu’à l’incrédulité en fait de vérités religieuses. On s’imagine plutôt un implacable ennemi de toute croyance quant à l’évidence des choses invisibles, ennemi dont les assauts ont été dirigés par des passions malicieuses, aidées de moyens peu scrupuleux, et surtout se servant des armes illégales du ridicule, au lieu de la noble arme de l’argument ; en un mot, il est regardé comme un railleur, non comme un penseur…