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AVERTISSEMENT

DE BEUCHOT
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Le marquis de Villette écrivait, en 1787, au comte de Guibert[1] :

« Il est malheureusement certain que M. de Voltaire est l’auteur de ces Mémoires ; mais il est en même temps certain qu’il en avait brûlé le manuscrit longtemps avant sa mort.

« Voici le fait. Après le séjour de M. de Voltaire à Colmar et à Lausanne, il vint s’établir auprès de Genève. Dégoûté des intrigues des cours, lassé de la faveur des rois, il y vivait avec un très-petit nombre d’amis, et n’y recevait que les voyageurs distingués qui faisaient le pèlerinage des Délices.

« C’est là que, le cœur gros de l’aventure de Francfort, il épanchait son âme, comme malgré lui, dans le sein de l’amitié, et racontait, avec cette grâce que vous lui connaissiez, les détails très-piquants de la vie privée et de l’intérieur domestique de votre héros, qui avait été si longtemps le sien. Ces auditeurs intimes, ravis de l’originalité qu’il mettait dans le récit de ces anecdotes, l’invitèrent à les écrire. En cédant à leurs instances, il obéit à un ancien mouvement d’humeur.

« Il serre avec grand soin son manuscrit ; mais ce beau génie n’a jamais eu l’esprit de rien enfermer, ni l’adresse de cacher une clef, pas même celle de ses doubles louis. On a fait à son insu deux copies de cet ouvrage. Peu de temps après, il se réconcilie avec le roi de Prusse, et brûle lui-même ces Mémoires écrits de sa propre main ; bien persuadé que, de cette manière, il anéantit pour jamais jusqu’à la trace de ses vieilles querelles.

« Après la mort de Voltaire, l’une des deux copies, remise en des mains augustes, loin de Paris et de la France, est restée secrète ; l’autre copie, livrée avec les manuscrits qui devaient composer ses Œuvres posthumes est celle qui a vu le jour. On a attendu cinq ans pour se résoudre à une si horrible trahison.

« On n’a donc rien à reprocher à la mémoire de M. de Voltaire. »

  1. Œuvres du marquis de Villette, 1788, in-8o, pages 248-249.