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AVERTISSEMENT DE BEUCHOT.

Tout n’est pas exact dans le récit du marquis de Villette. Il est hors de doute que ces Mémoires sont de Voltaire ; il est certain qu’il les composa en 1759 et à plusieurs reprises[1] ainsi qu’on le voit par les dates qu’il a mises aux additions qui les terminent. Il n’est pas moins certain que Voltaire ne les a pas publiés. Il en avait brûlé l’original, mais il en avait fait faire deux copies par son secrétaire Wagnière. La Harpe ayant, en 1768, dérobé l’un de ces manuscrits, fut expulsé de Ferney. Mme  Denis, qui était sa complice et qui prenait sa défense, fut aussi renvoyée ; il faut que lorsque cette dame revint chez son oncle, elle ait rapporté le manuscrit, puisque des deux copies faites par Wagnière l’une fut envoyée par lui à l’impératrice Catherine, et que l’autre se trouvait, en 1783, entre les mains de Beaumarchais, provenant de Mme  Denis. Beaumarchais, entrepreneur des éditions de Kehl, pour se conformer aux intentions de Voltaire, ne voulait pas publier ces Mémoires du vivant du roi de Prusse ; mais il en faisait des lectures dans de petites réunions. Ainsi faisait, de son côté, La Harpe, qui, avant de rendre à Mme  Denis le manuscrit dérobé, en avait pris copie à l’insu ou du consentement de cette dame. Ce qui prouve que l’intention des éditeurs de Kehl n’était pas de comprendre les Mémoires dans les Œuvres de Voltaire, c’est le parti qu’ils avaient pris de fondre dans le Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade[2], en les altérant quelquefois, d’assez longs passages des Mémoires. Mais, en 1784, il en parut plusieurs éditions séparées[3] ; alors les éditeurs de Kehl se décidèrent à ne pas priver leurs souscripteurs de ces Mémoires, et les donnèrent dans leur dernier volume (tome LXX de l’édition in-8o ou tome XCII de l’édition in-12), à la suite de la Vie de Voltaire par Condorcet.

Voltaire fit imprimer dans le Mercure une Déclaration[4] pour justifier La Harpe de l’accusation du vol de manuscrits dont parlèrent des journaux en 1768. C’était générosité de la part du philosophe de Ferney. Mais le témoignage de Wagnière et la publication de 1784 ne laissent aucun doute sur la soustraction des manuscrits en 1768.

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  1. Voyez ci-après une note (Documents biographiques, n° XLI) qui pourrait faire croire que ces Mémoires avaient été commencés avant le départ de Voltaire pour la Prusse. (L. M.)
  2. Les éditeurs de Kehl avaient placé ce Commentaire dans les Mélanges littéraires ; on le trouvera ci-après.
  3. J’en possède quatre, toutes au même millésime, sous le titre de : Mémoires pour servir à la Vie de Voltaire, écrits par lui-même, savoir, in-8o de 80 pages ; petit in-8o de 166 pages ; petit in-8o de 117 pages ; in-8o de 174 pages, plus l’errata. Cette dernière édition est terminée par l’Épître en vers de Frédéric (au maréchal Keith, sur les vaines terreurs de la mort et les frayeurs de l’autre vie.) (B.)
  4. Voyez tome XXVII, page 17.