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i08 LE PAUVRE DIABLE.

Au peu d'esprit que le bonhomme avait

L'esprit d'autrui par supplément servait.

Il entassait adage sur adage ;

Il compilait, compilait, compilait ;

On le voyait sans cesse écrire, écrire

Ce qu'il avait jadis entendu dire.

Et nous lassait sans jamais se lasser :

Il me choisit pour l'aider à penser.

Trois mois entiers ensemble nous pensâmes,

Lûmes beaucoup, et rien n'imaginâmes.

« L'abbé Trublct m'avait pétrifié ; Mais un bâtard du sieur de Lachaussée Vint ranimer ma cervelle épuisée, Et tous les deux nous fîmes par moitié Un drame court et non versifié, Dans le grand goût du larmoyant comique. Roman moral, roman métaphysique.

— Eh bien, mon fils, je ne te blâme pas. Il est bien vrai que je fais peu de cas

De ce faux genre, et j'aime assez qu'on rie ;

Souvent je bâille au tragique bourgeois.

Aux vains efforts d'un auteur amphibie

Qui défigure et qui brave à la fois.

Dans son jargon, Melpomène et Thalie.

Mais après tout, dans une comédie.

On peut parfois se rendre intéressant

En empruntant l'art de la tragédie.

Quand par malheur on n'est point né plaisant.

Fus-tu joué? ton drame hétéroclite

Eut-il l'honneur d'un peu de réussite?

— Je cabalai ; je fis tant qu'à la fin Je comparus au tripot d'arlequin *. J'y fus hué : ce dernier coup de grâce M'allait sans vie étendre sur la place ; On me porta dans un logis voisin, Prêt d'expirer de douleur et de faim.

Les yeux tournés, et plus froid que ma pièce.

— Le pauvre enfant! son malheur m'intéresse Il est naïf. Allons, poursuis le fil

De tes récits : ce logis, quel est-il ?

1. Voltaire désigne ainsi le comité do l.i Comédie italienne.

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