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130 LE RUSSE A PARIS. [u

L'hypocrite sourit, l'énergumène aboie;

Les chiens de Sainl-Médard ' s'élancent sur leur proie;

Un petit magistrat à peine émancipé,

Un pédant sans honneur, à Bicêtre échappé -,

S'il a du bel esprit la jalouse manie,

Intrigue, parle, écrit, dénonce, calomnie,

En crimes odieux travestit les vertus :

Tous les traits sont lancés, tous les rets sont tendus.

On cabale à la cour ; on ameute, on excite

Ces petits protecteurs sans place et sans mérite,

Ennemis des talents, des arts, des gens de bien.

Qui se sont faits dévots, de peur de n'être rien.

N'osant parler au roi, qui hait la médisance,

Et craignant de ses yeux la sage vigilance ;

Ces oiseaux de la nuit, rassemblés dans leurs trous.

Exhalent les poisons de leur orgueil jaloux :

u Poursuivons, disent-ils, tout citoyen qui pense.

Un génie! il aurait cet excès d'insolence!

Il n'a pas demandé notre protection !

Sans doute il est sans mœurs et sans religion ;

Il dit que dans les cœurs Dieu s'est gravé lui-même.

Qu'il n'est point implacable, et qu'il suffit qu'on l'aime.

Dans le fond de son àme il se rit des Fantins^

De Marie Alacoque'*, et de la Feur des Saints *.

��1. Saint-Médard est une vilaine paroisse d'un très-vilain faubourg de Paris, où les convulsions commencèrent. On appelle depuis ce temps-là les fanatiques: chiens de Saint-Médard. {Note de Voltaire, 1771.)

2. Variante :

Le fripon le plus vil, le plus déshonoré, Dans la basse débauche obscurément vautré.

3. Fantin, curé de Versailles, fameux directeur qui séduisait ses dévotes, et qui fut saisi volant une bourse de cent louis à un mourant qu'il confessait : il n'était pourtant pas philosophe. (Note de Voltaire, 1760,)

4. Marie Alacoque, ouvrage impertinent de Languet, évêque de Soissons, dans lequel l'absurdité et l'impiété furent poussées jusqu'à mettre dans la bouche de Jésus-Christ quatre vers pour Marie Alacoque. {Id., 17C0.)

5. La Fleur des Saints, compilation extravagante du jésuite Ribadeneira ; c'est un extrait de la Lé'jende dorée, traduit et augmenté par le frère Girard, jésuite.

Nota bene que ce n'était pas ce frère Girard condamné au feu, le 12 octobre 1731, par la moitié du parlement d'Aix, pour avoir abusé de sa pénitente en lui donnant le fouet assez doucement, et pour plusieurs profanations. Il fut absous par l'autre moitié du parlement d'Aix, parce qu'on avait ridiculement mêlé l'accusation de sor- tilège aux véritables charges du procès. C'est bien dommage que ce frère Girard n'ait pas été philosophe. {Id,, 17G0.)

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