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PRÉFACE DE CATHERINE VADÉ.

hensibles, et que voilà quatre saints qu’il faut nécessairement que je donne à tous les diables.

« Cela m’a fait naître quelques scrupules sur saint Thomas et saint Raimond de Pennafort. J’ai lu leurs ouvrages, et j’ai été confondu quand j’ai vu dans Thomas et dans Raimond à peu près les mêmes paroles que dans Busembaum[1]. Je me suis défait aussitôt de ces deux patrons, et j’ai brûlé leurs livres.

« Je me suis vu ainsi réduit au seul nom de Jérôme ; mais ce Jérôme, le seul patron qui me restait, ne m’a pas été plus utile que les autres. Est-ce que Jérôme n’aurait pas de crédit en paradis ? J’ai consulté sur cette affaire un très-savant homme : il m’a dit que Jérôme était le plus colère de tous les hommes ; qu’il avait dit de grosses injures au saint évêque de Jérusalem, Jean, et au saint prêtre Rufin ; que même il appela celui-ci hydre et scorpion, et qu’il l’insulta après sa mort : il m’a montré les passages. Je me vois obligé de renoncer enfin à Jérôme, et de m’appeler Carré tout court ; ce qui est bien désagréable. »

C’est ainsi que Carré déposait sa douleur dans le sein de frère Giroflée, lequel lui répondit : « Vous ne manquerez pas de saints, mon cher enfant : prenez saint François d’Assise. — Non, dit Carré ; sa femme de neige[2] me donnerait quelquefois des envies de rire, et ceci est une affaire sérieuse. — Hé bien, prenez saint Dominique. — Non, il est auteur de l’Inquisition. — Voulez-vous de saint Bernard ? — Il a trop persécuté ce pauvre Abélard, qui avait plus d’esprit que lui, et il se mêlait de trop d’affaires : donnez-moi un patron qui ait été si humble que personne n’en ait jamais entendu parler ; voilà mon saint. »

Frère Giroflée lui remontra l’impossibilité d’être canonisé et ignoré. Il lui donna la liste de plusieurs autres patrons que notre ami ne connaissait pas ; ce qui revenait au même : mais à chaque saint qu’il proposait, il demandait quelque chose pour son couvent ; car il savait que Jérôme Carré avait de l’argent. Jérôme Carré lui fit alors ce conte, qui m’a paru curieux :

« Il y avait autrefois un roi d’Espagne qui avait promis de distribuer des aumônes considérables à tous les habitants d’auprès de Burgos qui avaient été ruinés par la guerre. Ils vinrent aux

  1. Voyez dans l’Essai sur les mœurs une des notes du chapitre clxxiv.
  2. Saint Bonaventure, chapitre v, page 61 de la Vie de saint François d’Assise, qui fait partie du second volume d’octobre des Bollandistes, publié en 1768, parle d’une femme de neige qui apparut à saint François pendant qu’il se flagellait pour vaincre la concupiscence. (B.)