Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, si d’un crayon vrai quelque main libre et sûre
Nous traçait de Louis la fidèle peinture,
Nos yeux trop dessillés pourraient dans ce héros
Avec bien des vertus trouver quelques défauts.
Prince, ne crois donc point que ces hommes vulgaires
Qui prodiguent aux grands des écrits mercenaires,
Imposant par leurs vers à la postérité,
Soient les dispensateurs de l’immortalité[1].
Tu peux, sans qu’un auteur te critique ou t’encense,
Jeter les fondements du bonheur de la France ;
Et nous verrons un jour l’équitable univers
Peser tes actions sans consulter nos vers.
Je dis plus : un grand prince, un héros, sans l’histoire,
Peut même à l’avenir transmettre sa mémoire.
Taisez-vous, s’il se peut, illustres écrivains,
Inutiles appuis de ces honneurs certains ;
Tombez, marbres vivants, que d’un ciseau fidèle
Anima sur ses traits la main d’un Praxitèle ;
Que tous ces monuments soient partout renversés.
Il est grand, il est juste, on l’aime : c’est assez.
Mieux que dans nos écrits, et mieux que sur le cuivre.
Ce héros dans nos cœurs à jamais doit revivre.
  L’heureux vieillard, en paix dans son lit expirant[2],
De ce prince à son fils fait l’éloge en pleurant ;
Le fils, encor tout plein de son règne adorable.
Le vante à ses neveux ; et ce nom respectable,

  1. Variante :
    Soient les dispensateurs de l’immortalité.
    Je ris de cet auteur dont la frivole audace,
    Dans les dizains pompeux d’une ode qui nous glace,
    Présente à son héros les séduisants appas
    D’un éternel laurier que tous deux n’auront pas.
    Oui, Philippe, tu peux, sans qu’un rimeur t’encense.
    Jeter les fondements du bonheur de la France ;
    Et, sans tous les écrits de Pellegrin, de Roy,
    Le sévère avenir saura juger de toi.
    Je dis plus : un grand prince, artisan de sa gloire,
    Dans la postérité peut vivre sans l’histoire.
    Taisez-vous, s’il se peut, etc.
  2. Ce vers et les cinq suivants ont été reproduits presque textuellement par Voltaire dans son poëme Sur les Événements de l’année 1744 (voyez tome IX, page 431). Laharpe a remarque que les idées en étaient prises dans le Petit Carême de Massillon. (Voyez le Cours de littérature, IIe partie, livre II, ch. Ier, section 4.)

    Le chevalier Croft (dans ses Commentaires sur les meilleurs ouvrages de la langue française, tome Ier et unique, 1815, in-8o), a cité ces vers comme étant de la Henriade. (B.)