Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/262

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Dans vos beaux jours brillants de gloire,
Vous eût envoyé chez Pluton,
Voyez la consolation
Que vous auriez dans la nuit noire,
Lorsque vous sauriez la façon
Dont vous aurait traité l’histoire !
Paris vous eût premièrement
Fait un service fort célèbre,
En présence du parlement ;
Et quelque prélat ignorant
Aurait prononcé hardiment
Une longue oraison funèbre,
Qu’il n’eût pas faite assurément.
Puis, en vertueux capitaine,
On vous aurait proprement mis
Dans l’église de Saint-Denis,
Entre du Guesclin et Turenne.
Mais si quelque jour, moi chétif,
J’allais passer le noir esquif,
Je n’aurais qu’une vile bière ;
Deux prêtres s’en iraient gaîment[1]
Porter ma figure légère,
Et la loger mesquinement
Dans un recoin du cimetière.
Mes nièces, au lieu de prière.
Et mon janséniste de frère[2],
Riraient à mon enterrement :
Et j’aurais l’honneur seulement
Que quelque muse médisante
M’affublerait, pour monument,
D’une épitaphe impertinente.
Vous voyez donc très-clairement
Qu’il est bon que je me conserve,
Pour être encor témoin longtemps

  1. La Fontaine a dit, fable ii du livre VII :
    Un curé s’en allait gaîment
    Enterrer ce mort au plus vite. (B.)
  2. L’auteur avait un frère, trésorier de la chambre des comptes, qui était en effet un janséniste outré, et qui se brouillait toujours avec son frère toutes les fois que celui-ci disait du bien des jésuites. (Note de Voltaire, 1748.) — Armand Arouet, frère aîné de Voltaire, était mort en 1745.