Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/34

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Abdala répliqua : « Vos désirs sont mes lois. »
Ainsi dit, ainsi fait. Le très-indigne prêtre,
Et les deux conseillers, corrupteurs de leur maître,
Eurent chacun leur dose, au grand contentement
De tous les prisonniers et de tout Bénévent ;
Et le jeune Alamon goûta le bien suprême
D’être le muletier de la beauté qu’il aime.
« Ce n’est pas tout, dit-elle, il faut vaincre et régner.
La couronne ou la mort à présent vous appelle :
Vous avez du courage, Émon vous est fidèle ;
Je veux aussi vous l’être, et ne rien épargner
Pour vous rendre honnête homme, et servir ma patrie.
Au fond de son exil allez trouver Émon ;
Puisque vous avez tort, demandez-lui pardon.
Il donnera pour vous les restes de sa vie ;
Tout sera préparé, revenez dans trois jours,
Hâtez-vous : vous savez que je suis destinée
Aux plaisirs d’Abdala la troisième journée.
Les moments sont bien chers à la guerre, en amours. »
Alamon répondit : « Je vous aime, et j’y cours. »
Il part. Le brave Émon, qu’avait instruit Amide,
Aimait son prince ingrat devenu malheureux.
Il avait rassemblé des amis généreux,
Et de soldats choisis une troupe intrépide.
Il embrassa son prince, ils pleurèrent tous deux.
Ils s’arment en secret, ils marchent en silence.
Amide parle aux siens, et réveille en leur cœur,
Tout esclaves qu’ils sont, des sentiments d’honneur.
Alamon réunit l’audace et la prudence ;
Il devint un héros sitôt qu’il combattit.
Le Turc, aux voluptés livré sans défiance,
Surpris par les vaincus, à son tour se perdit.
Alamon triomphant au palais se rendit,
Au moment que le Turc, ignorant sa disgrâce,
Avec la belle Amide allait se mettre au lit.
Il rentra dans ses droits, et se mit à sa place.
Le confesseur arrive avec mes deux fripons,
Tout fraîchement sortis de leurs sales prisons.
Disant avoir tout fait, et n’ayant rien pu faire :
Ils pensaient conserver leur empire ordinaire.
Les lâches sont cruels : le moine conseilla
De faire au pied des murs empaler Abdala.