Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/398

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N’entend point nos regrets, n’exauce point nos vœux,
De l’empire français n’est point la protectrice.
C’est toi, c’est ta valeur, ta bonté, ta justice.
Qui préside à l’État raffermi par tes mains.
Ce n’est qu’en t’imitant qu’on a des jours prospères ;
C’est l’encens qu’on te doit : les Grecs et les Romains
Invoquaient des héros, et non pas des bergères.
Oh ! si de mes déserts, où j’achève mes jours,
Je m’étais fait entendre[1] au fond du sombre empire !
Si, comme au temps d’Orphée, un enfant de la lyre
De l’ordre des destins[2] interrompait le cours !
Si ma voix… ! Mais tout cède à leur arrêt suprême :
Ni nos chants, ni nos cris, ni l’art et ses secours,
Les offrandes, les vœux, les autels[3], ni toi-même,
Rien ne suspend la mort. Ce monde illimité
Est l’esclave éternel de la fatalité.
À d’immuables lois Dieu soumit la nature.
Sur ces monts entassés, séjour de la froidure,
Au creux de ces rochers, dans ces gouffres affreux,
Je vois des animaux maigres, pâles, hideux,
Demi-nus, affamés, courbés sous l’infortune ;
Ils sont hommes pourtant : notre mère commune[4]
A daigné prodiguer des soins aussi puissants
À pétrir de ses mains leur substance mortelle,
Et le grossier instinct qui dirige leurs sens,
Qu’à former les vainqueurs de Pharsale et d’Arbelle.
Au livre des destins tous leurs jours sont comptés ;
Les tiens l’étaient aussi. Ces dures vérités

    Tu l’as trop mérité : c’est toi, c’est ton courage
    Qui préside à l’État raffermi par tes mains, etc.
    — Voltaire n’avait fait les vers 2, 3, et 4 de cette variante que pour ne se brouiller ni avec sainte Geneviève, ni avec ses moines ; voyez la lettre à Damilaville, du 6 janvier 1766. (B.)

  1. Variante :
    Ma voix pourrait percer.
  2. Variante :
    Des ordres du destin.
  3. Variante :
    Nos offrandes, nos vœux, nos autels.
  4. Variante :
    Et la mère commune.