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TRADUCTIONS.

Mais dans sa bonté même éclatait sa colère.
« Je méprise, dit-il, cette erreur populaire
Qui croit que l’avenir au prêtre est révélé.
Et qu’il nous faut mourir lorsque Delphe a parlé[1].
Je ne m’occupe point d’une chimère vaine ;
J’écoute mon dépit, je me livre à ma haine ;
Elle est juste, il suffit. Je n’ai point pardonné
À cet indigne roi par mes mains couronné,
À cet Atride ingrat, au rival que j’ahhorre.
Qui m’ôta Briséis et la retient encore,
Qui devant tous les Grecs osa m’humilier :
Non, jamais tant d’atïronts ne pourront s’oublier.
« Mais enfin j’ai prescrit un terme à ma vengeance ;
J’ai promis, si jamais, poursuivis sans défense,
Les Argiens tremblants aux bords du Ximoïs
Fuyaient jusqu’aux vaisseaux par nous-mêmes conduits,
Qu’alors de ces vaincus j’aurais pitié peut-être ;
Que je pourrais souffrir qu’on secourût leur maître ;
Qu’on le couvrît de honte en conservant ses jours.
Ce temps est arrivé ; va, marche à son secours.
Je vois d’Agamemnon la fuite avilissante ;
D’Hector qui le poursuit j’entends la voix tonnante.
Il t’appelle à la gloire, arme-toi contre lui ;
Et si le ciel vengeur te seconde aujourd’hui.
N’abuse point surtout du bonheur qu’il t’envoie ;
Ne tente point les dieux, ne va point jusqu’à Troie :
Modère ta valeur ; c’est assez d’écarter
Cet Hector insolent qui nous ose insulter ;
C’est assez d’arracher aux flammes, au pillage,
Nos vaisseaux exposés sur cet affreux rivage.
Puissent ces fils de Tros, et ces Grecs odieux,
Ces communs ennemis, en horreur à mes yeux,
S’égorger l’un par l’autre, et tomber nos victimes !
Que leur sang détestable efface enfin leurs crimes !
Qu’il ne reste que nous pour détruire à jamais
Les lieux qu’ils ont souillés d’opprobre et de forfaits ! »
Tandis que, d’une voix si terrible et si fière,
Achille à sa pitié mêlait tant de colère,

  1. Ces vers, qui ne sont pas fournis par l’original, sont imités de Lucain (livre IX), et c’est la troisième imitation qu’en donne Voltaire. (Voyez tome III du Théâtre, p. 519, et tome IX, p. 444.)