Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/63

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Dans les jardins, sur les bords des fontaines,
Sur les gazons, respirer les haleines
Et les parfums des fleurs et des zéphyrs.
Vingt chars brillant de rubis, de saphirs,
Pour la porter se présentent d’eux-mêmes,
Comme autrefois les trépieds de Vulcain
Allaient au ciel, par un ressort divin,
Offrir leur siège aux majestés suprêmes.
De mille oiseaux les doux gazouillements,
L’eau qui s’enfuit sur l’argent des rigoles,
Ont accordé leurs murmures charmants ;
Les perroquets répétaient ses paroles,
Et les échos les disaient après eux.
Telle Psyché, par le plus beau des dieux
À ses parents avec art enlevée,
Au seul Amour dignement réservée,
Dans un palais des mortels ignoré,
Aux éléments commandait à son gré.
Madame Arsène est encor mieux servie :
Plus d’agréments environnaient sa vie ;
Plus de beautés décoraient son séjour ;
Elle avait tout ; mais il manquait l’Amour.
Pour égayer notre mélancolique,
On lui donna le soir une musique
Dont les accords et les accents nouveaux
Feraient pâmer soixante cardinaux.
Ces sons vainqueurs allaient au fond des âmes ;
Mais elle vit, non sans émotion,
Que pour chanter on n’avait que des femmes,
« Dans ce palais point de barbe au menton !
À quoi, dit-elle, a pensé ma marraine ?
Point d’homme ici ! Suis-je dans un couvent ?
Je trouve bon que l’on me serve en reine ;
Mais sans sujets la grandeur est du vent.
J’aime à régner, sur des hommes s’entend ;
Ils sont tous nés pour ramper dans ma chaîne :
C’est leur destin, c’est leur premier devoir ;
Je les méprise, et je veux en avoir. »
Ainsi parlait la recluse intraitable ;
Et cependant les nymphes sur le soir
Avec respect ayant servi sa table,
On l’endormit au son des instruments.