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LA CRÉPINADE.

Un dos cintré propre à la bastonnade ;
Puis il lui souffle un esprit imposteur,
Traître et rampant, satirique et flatteur.
Rien n’épargnait : il vous remplit la bête
De fiel au cœur, et de vent dans la tête.
Quand tout fut fait, Satan considéra
Ce beau garçon, le baisa, l’admira ;
Endoctrina, gouverna son ouaille ;
Puis dit à tous : « Il est temps qu’il rimaille. »
Aussitôt fait, l’animal rimailla,
Monta sa vielle, et Rabelais pilla ;
Il griffonna des Ceintures magiques[1],
Des Adonis, des Aïeux chimériques ;
Dans les cafés il fit le bel esprit ;
Il nous chanta Sodome et Jésus-Christ ;
Il fut sifflé, battu pour son mérite.
Puis fut errant, puis se fit hypocrite ;
Et, pour finir, à son père il alla.
Qu’il y demeure. Or je veux sur cela
Donner au diable un conseil salutaire :
« Monsieur Satan, lorsque vous voudrez faire
Quelque bon tour au chétif genre humain,
Prenez-vous-y par un autre chemin.
Ce n’est le tout d’envoyer son semblable
Pour nous tenter : Crépin, votre féal,
Vous servant trop, vous a servi fort mal :
Pour nous damner, rendez le vice aimable. »


  1. Titres d’ouvrages dramatiques de J.-B. Rousseau.