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CHAPITRE V.

Nous ne savons pas quel était le premier Zoroastre, en quel temps il vivait, si c’est le Brama des Indiens, et l’Abraham des Juifs ; mais nous savons, à n’en pouvoir douter, que sa religion enseignait la vertu. C’est le but essentiel de toutes les religions ; elles ne peuvent jamais en avoir eu d’autre ; car il n’est pas dans la nature humaine, quelque abrutie qu’elle puisse être, de croire d’abord à un homme qui viendrait enseigner le crime.

Les dogmes du Sadder nous prouvent encore que les Perses n’étaient point idolâtres. Notre ignorante témérité accusa longtemps d’idolâtrie les Persans, les Indiens, les Chinois, et jusqu’aux mahométans, si attachés à l’unité de Dieu qu’ils nous traitent nous-mêmes d’idolâtres. Tous nos anciens livres italiens, français, espagnols, appellent les mahométans païens, et leur empire la paganie. Nous ressemblions, dans ces temps-là, aux Chinois, qui se croyaient le seul peuple raisonnable, et qui n’accordaient pas aux autres hommes la figure humaine. La raison est toujours venue tard ; c’est une divinité qui n’est apparue qu’à peu de personnes.

Les Juifs imputèrent aux chrétiens des repas de Thyeste, et des noces d’Œdipe, comme les chrétiens aux païens ; toutes les sectes s’accusèrent mutuellement des plus grands crimes : l’univers s’est calomnié.

La doctrine des deux principes est de Zoroastre. Orosmade, ou Oromaze, le dieu des jours, et Arimane, le génie des ténèbres, sont l’origine du manichéisme. C’est l’Osiris et le Typhon des Égyptiens, c’est la Pandore des Grecs ; c’est le vain effort de tous les sages pour expliquer l’origine du bien et du mal. Cette théologie des mages fut respectée dans l’Orient sous tous les gouvernements ; et, au milieu de toutes les révolutions, l’ancienne religion s’était toujours soutenue en Perse : ni les dieux des Grecs, ni d’autres divinités n’avaient prévalu.

Noushirvan, ou Cosroès le Grand, sur la fin du vie siècle, avait étendu son empire dans une partie de l’Arabie Pétrée, et de celle que l’on nommait Heureuse. Il en avait chassé les Abyssins, demi-chrétiens qui l’avaient envahie. Il proscrivit, autant qu’il le put, le christianisme de ses propres États, forcé à cette sévérité par le crime d’un fils de sa femme, qui, s’étant fait chrétien, se révolta contre lui[1].

  1. Voltaire protesta contre cette phrase qui se trouvait déjà dans l’édition de Jean Néaulme : « Nous avons trouvé, page 39 du manuscrit, fait-il écrire par le notaire : le roi de Perse eut un fils qui, s’étant fait chrétien, fut indigne de l’être et se révolta contre lui. Dans l’édition de Jean Néaulme, on a supprimé ces mots essentiels : fut indigne de l’être. » Et Voltaire, ayant protesté, a maintenu, comme on peut voir, la suppression des mots essentiels. (G. A.)