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ORIGINE DE LA PUISSANCE DES PAPES.

Ravenne, qui ne lui appartenait point, et qu’il eût même fait cette donation du bien d’autrui sans prendre aucune mesure pour la faire exécuter. Cependant il est bien peu vraisemblable qu’un homme tel que Pepin, qui avait détrôné son roi, n’ait passé en Italie avec une armée que pour y aller faire des présents. Rien n’est plus douteux que cette donation citée dans tant de livres. Le bibliothécaire Anastase, qui écrivait cent quarante ans après l’expédition de Pepin, est le premier qui parle de cette donation. Mille auteurs l’ont citée, les meilleurs publicistes d’Allemagne la réfutent, la cour romaine ne peut la prouver, mais elle en jouit.

Il régnait alors dans les esprits un mélange bizarre de politique et de simplicité, de grossièreté et d’artifice, qui caractérise bien la décadence générale. Étienne feignit une lettre de saint Pierre, adressée du ciel à Pepin et à ses enfants ; elle mérite d’être rapportée ; la voici : « Pierre, appelé apôtre par Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, etc... Comme par moi toute l’Église catholique, apostolique, romaine, mère de toutes les autres Églises, est fondée sur la pierre, qu’Étienne est évêque de cette douce Église romaine ; et afin que la grâce et la vertu soient pleinement accordées du Seigneur notre Dieu, pour arracher l’Église de Dieu des mains des persécuteurs : à vous, excellents Pepin, Charles et Carloman, trois rois, et à tous saints évêques et abbés, prêtres et moines, et même aux ducs, aux comtes, et aux peuples, moi Pierre, apôtre, etc... je vous conjure, et la vierge Marie, qui vous aura obligation, vous avertit et vous commande, aussi bien que les trônes, les dominations... Si vous ne combattez pour moi, je vous déclare, par la sainte Trinité et par mon apostolat, que vous n’aurez jamais de part au paradis[1]. »

La lettre eut son effet. Pépin passa les Alpes pour la seconde fois ; il assiégea Pavie, et fit encore la paix avec Astolfe, Mais est-il probable qu’il ait passé deux fois les monts uniquement pour donner des villes au pape Étienne ? Pourquoi saint Pierre, dans sa lettre, ne parle-t-il pas d’un fait si important ? pourquoi ne se plaint-il pas à Pepin de n’être pas en possession de l’exarchat ? pourquoi ne le redemande-t-il pas expressément ?

Tout ce qui est vrai, c’est que les Francs, qui avaient envahi les Gaules, voulurent toujours subjuguer l’Italie, objet de la cupidité de tous les barbares ; non que l’Italie soit en effet un meilleur pays que les Gaules, mais alors elle était mieux cultivée ; les villes

  1. Comment accorder tant d’artifice et tant de bêtise ? C’est que les hommes ont toujours été fourbes, et qu’alors ils étaient fourbes et grossiers. (Note de Voltaire.)