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CHAPITRE XXVII.

celle qui avait été longtemps reçue de l’Église grecque, et qui croyait au Christ, sans le croire égal à Dieu. Les Espagnols, au contraire, étaient attachés au rite romain ; ainsi les vainqueurs étaient d’une religion, et les vaincus d’une autre, ce qui appesantissait encore l’esclavage. Les diocèses étaient partagés en évêques ariens et en évêques athanasiens, comme en Italie ; partage qui augmentait encore les malheurs publics. Les rois visigoths voulurent faire en Espagne ce que fit, comme nous l’avons vu[1] le roi lombard Rotharic en Italie, et ce qu’avait fait Constantin à son avènement à l’empire : c’était de réunir par la liberté de conscience les peuples divisés par les dogmes.

Le roi visigoth, Leuvigilde, prétendit réunir ceux qui croyaient à la consubstantialité et ceux qui n’y croyaient pas. Son fils Herminigilde se révolta contre lui. Il y avait encore alors un roitelet suève qui possédait la Galice et quelques places aux environs : le fils rebelle se ligua avec ce Suève, et fit longtemps la guerre à son père ; enfin, n’ayant jamais voulu se soumettre, il fut vaincu, pris dans Cordoue, et tué par un officier du roi. L’Église romaine en a fait un saint, ne considérant en lui que la religion romaine, qui fut le prétexte de sa révolte.

Cette mémorable aventure arriva en 584, et je ne la rapporte que comme un des exemples de l’état funeste où l’Espagne était réduite.

Ce royaume des Visigoths n’était point héréditaire ; les évêques, qui eurent d’abord en Espagne la même autorité qu’ils acquirent en France du temps des Carlovingiens, faisaient et défaisaient les rois, avec les principaux seigneurs. Ce fut une nouvelle source de troubles continuels ; par exemple, ils élurent le bâtard Liuva, au mépris de ses frères légitimes ; et ce Liuva ayant été assassiné par un capitaine goth nommé Vitteric, ils élurent ce Vitteric sans difficulté.

Un de leurs meilleurs rois, nommé Vamba, dont nous avons déjà parlé[2], étant tombé malade, fut revêtu d’un sac de pénitent, et se soumit à la pénitence publique, qui devait, dit-on, le guérir : il guérit en effet ; mais, en qualité de pénitent, on lui déclara qu’il n’était pas capable des fonctions de la royauté, et il fut mis sept jours dans un monastère. Cet exemple fut cité en France, à la déposition de Louis le Faible[3].

  1. Chapitre xii.
  2. Chapitre xiii.
  3. Il est le premier roi qui ait cru ajouter à ses droits en se faisant sacrer, et il fut le premier que les prêtres chassèrent du trône. Obligé, en qualité de pénitent et de moine, de quitter la royauté, il choisit un successeur qui assembla un concile à Tolède. Ce concile formé, comme tous ceux d’Espagne et des Gaules du même temps, d’un grand nombre d’évêques et de quelques seigneurs laïques, déclara les sujets de Vamba dégagés envers lui du serment de fidélité, et anathématisa quiconque ne reconnaîtrait point le nouveau roi, qui se garda bien de se faire sacrer. L’aventure de Vamba dégoûta les rois d’Espagne de cette cérémonie. (K.)