Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
535
DE JEANNE, REINE DE NAPLES.

ce tribunal passa plus vite que le sénat et le consulat en vain rétablis, Rienzi ayant commencé comme les Gracques, finit comme eux ; il fut assassiné par la faction des familles patriciennes.

Rome devait dépérir par l’absence de la cour des papes, par les troubles de l’Italie, par la stérilité de son territoire, et par le transport de ses manufactures à Gênes, à Pise, à Venise, à Florence. Les pèlerinages seuls la soutenaient alors : le grand jubilé surtout, institué par Boniface VIII de siècle en siècle, mais établi de cinquante en cinquante ans par Clément VI, attirait à Rome une si prodigieuse foule qu’en 1350 on y compta deux cent mille pèlerins. Rome, sans empereur et sans pape, est toujours faible, et la première ville du monde chrétien.

__________



CHAPITRE LXIX.


De Jeanne, reine de Naples.


Nous avons dit que le siége papal acquit Avignon de Jeanne d’Anjou et de Provence. On ne vend ses États que quand on est malheureux. Les infortunes et la mort de cette reine entrent dans tous les événements de ce temps-là, et surtout dans le grand schisme d’Occident, que nous aurons bientôt sous les yeux.

Naples et Sicile étaient toujours gouvernées par des étrangers : Naples, par la maison de France ; l’île de Sicile, par celle d’Aragon. Robert, qui mourut en 1343, avait rendu son royaume de Naples florissant ; son neveu, Louis d’Anjou, avait été élu roi de Hongrie. La maison de France étendait ses branches de tous côtés ; mais ces branches ne furent unies ni avec la souche commune ni entre elles ; toutes devinrent malheureuses. Le roi de Naples, Robert, avait, avant de mourir, marié sa petite-fille Jeanne, son héritière, à André, frère du roi de Hongrie. Ce mariage, qui semblait devoir cimenter le bonheur de cette maison, en fit les infortunes : André prétendait régner de son chef ; Jeanne, toute jeune qu’elle était, voulut qu’il ne fût que le mari de la reine. Un moine franciscain, nommé frère Robert, qui gouvernait André, alluma la haine et la discorde entre les deux époux : une cour de Napolitains auprès de la reine, une autre auprès d’André, com-