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ORPHÉE, MINOS, IMMORTALITÉ DE L’AME.

doine, parce que dans le premier livre des Machabées, il est dit qu’Alexandre sortit du pays de Kittim ; je m’attacherai à d’autres objets.

Minos vivait à peu près au temps où nous plaçons Moïse ; et c’est même ce qui a donné au savant Huet, évêque d’Avranches, quelque faux prétexte de soutenir que Minos né en Crète, et Moïse né sur les confins de l’Egypte, étaient la même personne ; système qui n’a trouvé aucun partisan, tout absurde qu’il est.

Ce n’est pas ici une fable grecque ; il est indubitable que Minos fut un roi législateur. Les fameux marbres de Paros, monument le plus précieux de l’antiquité, et que nous devons aux Anglais, fixent sa naissance quatorze cent quatre-vingt-deux ans avant notre ère vulgaire[1]. Homère l’appelle dans l’Odyssée le sage, le confident de Dieu. Flavien Josèphe cherche à justifier Moïse par l’exemple de Minos, et des autres législateurs qui se sont crus ou qui se sont dits inspirés de Dieu. Cela est un peu étrange dans un Juif, qui ne semblait pas devoir admettre d’autre dieu que le sien, à moins qu’il ne pensât comme les Romains ses maîtres et comme chaque premier peuple de l’antiquité, qui admettait l’existence de tous les dieux des autres nations[2].

Il est sûr que Minos était un législateur très-sévère, puisqu’on supposa qu’après sa mort il jugeait les âmes des morts dans les enfers ; il est évident qu’alors la croyance d’une autre vie était généralement répandue dans une assez grande partie de l’Asie et de l’Europe.

Orphée est un personnage aussi réel que Minos ; il est vrai que les marbres de Paros n’en font point mention ; c’est probablement parce qu’il n’était pas né dans la Grèce proprement dite, mais dans la Thrace. Quelques-uns ont douté de l’existence du premier Orphée, sur un passage de Cicéron, dans son excellent livre de la Nature des dieux. Cotta, un des interlocuteurs, prétend qu’Aristote ne croyait pas que cet Orphée eût été chez les Grecs ; mais Aristote n’en parle pas dans les ouvrages que nous avons de lui. L’opinion de Cotta n’est pas d’ailleurs celle de Cicéron. Cent auteurs anciens parlent d’Orphée : les mystères qui portent son nom lui rendaient

  1. Dans cet endroit des marbres d’Arundel, la date est effacée ; mais ils parlent de Minos comme d’un personnage réel ; et le lieu où se trouve le passage mutilé suffit pour indiquer à peu près l’époque de sa naissance ou de son règne.
  2. Quoi qu’en aient dit les critiques de M. de Voltaire, ce Josèphe était un fripon qui ne croyait pas plus à Moïse qu’à Minos ; son raisonnement se réduit à ceci : « Vous regardez Minos comme un héros, quoiqu’il se soit dit inspiré : pourquoi n’avez-vous pas la même indulgence pour Moïse ? » (K.)