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CHAPITRE XCII.


CHAPITRE XCII.

Entreprise de Mahomet II, et sa mort.


Pendant trente et une années de règne, Mahomet II marcha de conquête en conquête, sans que les princes chrétiens se liguassent contre lui : car il ne faut pas appeler ligue un moment d’intelligence entre Huniade, prince de Transylvanie, le roi de Hongrie, et un despote de la Russie Noire. Ce célèbre Huniade montra que s’il avait été mieux secouru, les chrétiens n’auraient pas perdu tous les pays que les mahométans possèdent en Europe. Il repoussa Mahomet II devant Belgrade, trois ans après la prise de Constantinople.

Dans ce temps-là même les Persans tombaient sur les Turcs, et détournaient ce torrent dont la chrétienté était inondée. Ussum-Cassan, de la branche de Tamerlan, qu’on nommait le bélier blanc, gouverneur d’Arménie, venait de subjuguer la Perse. Il s’alliait aux chrétiens, et par là il les avertissait de se réunir contre l’ennemi commun, car il épousa la fille de David Comnène, empereur de Trébisonde. Il n’était pas permis aux chrétiens d’épouser leur commère ou leur cousine ; mais on voit qu’en Grèce, en Espagne, en Asie, ils s’alliaient aux musulmans sans scrupule.

Le Tartare Ussum-Gassan, gendre de l’empereur chrétien David Comnène, attaqua Mahomet vers l’Euphrate. C’était une occasion favorable pour la chrétienté : elle fut encore négligée. On laissa Mahomet, après des fortunes diverses, faire la paix avec le Persan, et prendre ensuite Trébisonde avec la partie de la Cappadoce qui en dépendait ; tourner vers la Grèce, saisir le Négrepont, retourner au fond de la mer Noire, s’emparer de Caffa, l’ancienne Théodosie rebâtie par les Génois ; revenir réduire Scutari, Zante, Céphalonie ; courir jusqu’à Trieste, à la porte de Venise, et établir enfin la puissance musulmane au milieu de la Calabre, d’où il menaçait le reste de l’Italie, et d’où ses lieutenants ne se retirèrent qu’après sa mort.

Sa fortune échoua contre Rhodes. Les chevaliers, qui sont aujourd’hui les chevaliers de Malte, eurent, ainsi que Scanderbeg, la gloire de repousser les armes victorieuses de Mahomet II.

Ce fut en 1480 que ce conquérant fit attaquer cette île autrefois si célèbre, et cette ville fondée très-longtemps avant Rome,