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DE LA CHEVALERIE.

duite dans toute l’Europe, contribuèrent à abolir peu à peu ce qu’on appelait la chevalerie, espèce de dignité et de confraternité dont il ne resta plus qu’une faible image.

Cette chevalerie était un établissement guerrier qui s’était fait de lui-même parmi les seigneurs, comme les confréries dévotes s’étaient établies parmi les bourgeois. L’anarchie et le brigandage, qui désolaient l’Europe dans le temps de la décadence de la maison de Charlemagne, donnèrent naissance à cette institution. Ducs, comtes, vicomtes, vidâmes, châtelains, étant devenus souverains dans leurs terres, tous se firent la guerre ; et au lieu de ces grandes armées de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne, presque toute l’Europe fut partagée en petites troupes de sept à huit cents hommes, quelquefois de beaucoup moins. Deux ou trois bourgades composaient un petit État combattant sans cesse contre son voisin. Plus de communications entre les provinces, plus de grands chemins, plus de sûreté pour les marchands, dont pourtant on ne pouvait se passer ; chaque possesseur d’un donjon les rançonnait sur la route : beaucoup de châteaux, sur les bords des rivières et aux passages des montagnes, ne furent que de vraies cavernes de voleurs ; on enlevait les femmes, ainsi qu’on pillait les marchands.

Plusieurs seigneurs s’associèrent insensiblement pour protéger la sûreté publique, et pour défendre les dames : ils en firent vœu, et cette institution vertueuse devint un devoir plus étroit, en devenant un acte de religion. On s’associa ainsi dans presque toutes les provinces : chaque seigneur de grand fief tint à honneur d’être chevalier et d’entrer dans l’ordre.

On établit, vers le xie siècle, des cérémonies religieuses et profanes qui semblaient donner un nouveau caractère au récipiendaire : il jeûnait, se confessait, communiait, passait une nuit tout armé ; on le faisait dîner seul à une table séparée, pendant que ses parrains et les dames qui devaient l’armer chevalier mangeaient à une autre. Pour lui, vêtu d’une tunique blanche, il était à sa petite table, où il lui était défendu de parler, de rire, et même de manger. Le lendemain il entrait dans l’église avec son épée pendue au cou ; le prêtre le bénissait ; ensuite il allait se mettre à genoux devant le seigneur ou la dame qui devait l’armer chevalier. Les plus qualifiés qui assistaient à la cérémonie lui chaussaient des éperons, le revêtaient d’une cuirasse, de brassards, de cuissards, de gantelets, et d’une cotte de mailles appelée haubert. Le parrain qui l’installait lui donnait trois coups de plat d’épée sur le cou, au nom de Dieu, de saint Michel et de saint Georges.