Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
DE LA CHEVALERIE.

son d’or ; Louis XI, l’ordre de Saint-Michel, d’abord aussi brillant que les deux autres, et aujourd’hui si ridiculement avili[1] : alors tomba l’ancienne chevalerie. Elle n’avait point de marque distinctive, elle n’avait point de chef qui lui conférât des honneurs et des priviléges particuliers. Il n’y eut plus de chevaliers bannerets, quand les rois et les grands princes eurent établi des compagnies d’ordonnance ; et l’ancienne chevalerie ne fut plus qu’un nom. On se fit toujours un honneur de recevoir l’accolade d’un grand prince ou d’un guerrier renommé. Les seigneurs constitués en quelque dignité prirent dans leurs titres la qualité de chevalier ; et tous ceux qui faisaient profession des armes prirent celle d’écuyer.

Les ordres militaires de chevalerie, comme ceux du Temple, ceux de Malte, l’ordre Teutonique et tant d’autres, sont une imitation de l’ancienne chevalerie, qui joignait les cérémonies religieuses aux fonctions de la guerre. Mais cette espèce de chevalerie fut absolument différente de l’ancienne : elle produisit en effet des ordres monastiques militaires, fondés par les papes, possédant des bénéfices, astreints aux trois vœux des moines. De ces ordres singuliers, les uns ont été de grands conquérants, les autres ont été abolis sous prétexte de débauches, d’autres ont subsisté avec éclat.

L’ordre Teutonique fut souverain ; l’ordre de Malte l’est encore, et le sera longtemps.

Il n’y a guère de prince en Europe qui n’ait voulu instituer un ordre de chevalerie. Le simple titre de chevalier que les rois d’Angleterre donnent aux citoyens, sans les agréger à aucun ordre particulier, est une dérivation de la chevalerie ancienne, et bien éloignée de sa source. Sa vraie filiation ne s’est conservée que dans la cérémonie par laquelle les rois de France créent toujours chevaliers les ambassadeurs qu’on leur envoie de Venise; et l’accolade est la seule cérémonie qu’on ait conservée dans cette installation.

Les chevaliers ès lois s’instituèrent d’eux-mêmes, comme les vrais chevaliers d’armes ; et cela même annonçait la décadence

  1. On a fait de cet ordre la récompense du mérite dans l’ordre civil ; mais on a pris toutes les précautions possibles pour empêcher qu’il ne parût trop honorable, comme si l’on eût craint que le public ne s’imaginât qu’il est plus glorieux d’avoir des talents que des ancêtres. Si jamais les hommes deviennent raisonnables, ils auront bien de la peine à concevoir l’importance attachée aux ordres, aux chapitres à preuves, et à la fonction de généalogiste ; ils seront étonnés que des hommes de bon sens, et même assez éclairés, aient fait gravement ce ridicule métier. Ils riront en voyant un immense in-folio rempli par la généalogie d’un gentilhomme dont la famille ne mérite pas d’occuper une demi-page dans l’histoire. (K.)