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CHAPITRE CIX.

sont pétris d’erreurs populaires ; de là vient que de grands hommes, tels que Pascal et Arnauld, finirent par être fanatiques.

Pic de La Mirandole écrivit, à la vérité, contre l’astrologie judiciaire ; mais il ne faut pas s’y méprendre, c’était contre l’astrologie pratiquée de son temps. Il en admettait une autre, et c’était l’ancienne, la véritable, qui, disait-il, était négligée.

Il dit dans sa première proposition que « la magie, telle qu’elle est aujourd’hui, et que l’Église condamne, n’est point fondée sur la vérité, puisqu’elle dépend des puissances ennemies de la vérité ». On voit par ces paroles mêmes, toutes contradictoires qu’elles sont, qu’il admettait la magie comme une œuvre des démons, et c’était le sentiment reçu. Aussi il assure qu’il n’y a aucune vertu dans le ciel et sur la terre qu’un magicien ne puisse faire agir ; et il prouve que les paroles sont efficaces en magie, parce que Dieu s’est servi de la parole pour arranger le monde.

Ces thèses firent beaucoup plus de bruit, et eurent plus d’éclat que n’en ont eu de nos jours les découvertes de Newton et les vérités approfondies par Locke. Le pape Innocent VIII fit censurer treize propositions de toute cette grande doctrine. Ces censures ressemblaient aux décisions de ces Indiens qui condamnaient l’opinion que la terre est soutenue par un dragon, parce que, disaient-ils, elle ne peut être soutenue que par un éléphant. Pic de la Mirandole fit son apologie ; il s’y plaint de ses censeurs. Il dit qu’un d’eux s’emporta violemment contre la cabale. « Mais savez-vous, lui dit le jeune prince, ce que veut dire ce mot de cabale ? — Belle demande ! répondit le théologien ; ne sait-on pas que c’était un hérétique qui écrivit contre Jésus-Christ? »

Enfin il fallut que le pape Alexandre VI, qui au moins avait le mérite de mépriser ces disputes, lui envoyât une absolution. Il est remarquable qu’il traita de même Pic de La Mirandole et Savonarole.

L’histoire du prince de La Mirandole n’est que celle d’un écolier plein de génie, parcourant une vaste carrière d’erreurs, et guidé en aveugle par des maîtres aveugles ; ce qui suit est l’histoire des maîtres du mensonge, qui fondent leur puissance sur la stupidité humaine.

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