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CHAPITRE CXXVIII.

L’esprit du jeune Henri, ardent et impétueux, s’était nourri avidement des subtilités de l’école. Il voulut écrire contre Luther ; mais auparavant il fit demander à Léon X la permission de lire les livres de cet hérésiarque, dont la lecture était interdite sous peine d’excommunication. Léon X accorda la permission. Le roi écrit ; il commente saint Thomas ; il défend sept sacrements contre Luther, qui alors en admettait trois, lesquels bientôt se réduisirent à deux[1]. Le livre s’achève à la hâte : on l’envoie à Rome. Le pape, ravi, compare ce livre, que personne ne lit aujourd’hui, aux écrits des Augustin et des Jérôme. Il donna le titre de défenseur de la foi au roi Henri et à ses successeurs : et à qui le donnait-il ? à celui qui devait être quelques années après le plus sanglant ennemi de Rome.

Peu de personnes prirent le parti de Luther en Italie. Ce peuple ingénieux, occupé d’intrigues et de plaisirs, n’eut aucune part à ces troubles. Les Espagnols, tout vifs et tout spirituels qu’ils sont, ne s’en mêlèrent pas. Les Français, quoiqu’ils aient avec l’esprit de ces peuples un goût plus violent pour les nouveautés, furent longtemps sans prendre parti. Le théâtre de cette guerre d’esprit était chez les Allemands, chez les Suisses, qui n’étaient pas réputés alors les hommes de la terre les plus déliés, et qui passent pour circonspects. La cour de Rome, savante et polie, ne s’était pas attendue que ceux qu’elle traitait de barbares pourraient, la Bible comme le fer à la main, lui ravir la moitié de l’Europe et ébranler l’autre.

C’est un grand problème si Charles-Quint, alors empereur, devait embrasser la réforme, ou s’y opposer. En secouant le joug de Rome, il vengeait tout d’un coup l’empire de quatre cents ans d’injures que la tiare avait faites à la couronne impériale ; mais il courait risque de perdre l’Italie. Il avait à ménager le pape, qui devait se joindre à lui contre François Ier ; de plus, ses États héréditaires étaient tous catholiques. On lui reproche même d’avoir vu avec plaisir naître une faction qui lui donnerait lieu de lever des taxes et des troupes dans l’empire, et d’écraser les catholiques, ainsi que les luthériens, sous le poids d’un pouvoir absolu. Enfin sa politique et sa dignité l’engagèrent à se déclarer contre Luther,

  1. Le titre du livre de Henri VIII est : Assertio septem sacramentorum adversus Martinum Lutherum, edita ab invictissimo Angliœ et Franciœ rege et domino Hyberniœ, Henrico ejus nominis octavo. Apud inclytam urbem Londinum, in œdibus Pynsonianis, anno MDXXI, quarto idus julii, cum privilegio a rege indulto. Editio prima, in-4o. (G. A.)