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DE GENÈVE ET DE CALVIN.

Les catholiques peu instruits, qui savent en général que Luther, Zuingle, Calvin, se marièrent, que Luther fut obligé de permettre deux femmes au landgrave de Hesse, pensent que ces fondateurs s’insinuèrent par des séductions flatteuses, et qu’ils ôtèrent aux hommes un joug pesant pour leur en donner un très-léger ; mais c’est tout le contraire : ils avaient des mœurs farouches ; leurs discours respiraient le fiel. S’ils condamnèrent le célibat des prêtres, s’ils ouvrirent les portes des couvents, c’était pour changer en couvents la société humaine. Les jeux, les spectacles, furent défendus chez les réformés ; Genève, pendant plus de cent ans, n’a pas souffert chez elle un instrument de musique. Ils proscrivirent la confession auriculaire, mais ils la voulurent publique : dans la Suisse, dans l’Écosse, à Genève, elle l’a été, ainsi que la pénitence. On ne réussit guère chez les hommes, du moins jusqu’aujourd’hui, en ne leur proposant que le facile et le simple ; le maître le plus dur est le plus suivi : ils ôtaient aux hommes le libre arbitre, et l’on courait à eux. Ni Luther, ni Calvin, ni les autres, ne s’entendirent sur l’eucharistie : l’un, ainsi que je l’ai déjà dit[1], voyait Dieu dans le pain et dans le vin comme du feu dans un fer ardent ; l’autre, comme le pigeon dans lequel était le Saint-Esprit. Calvin se brouilla d’abord avec ceux de Genève qui communiaient avec du pain levé ; il voulait du pain azyme. Il se réfugia à Strasbourg, car il ne pouvait retourner en France, où les bûchers étaient alors allumés, et où François Ier laissait brûler les protestants, tandis qu’il faisait alliance avec ceux d’Allemagne. S’étant marié à Strasbourg avec la veuve d’un anabaptiste, il retourna enfin à Genève ; et, communiant avec du pain levé comme les autres, il y acquit autant de crédit que Luther en avait en Saxe.

Il régla les dogmes et la discipline que suivent tous ceux que nous appelons calvinistes, en Hollande, en Suisse, en Angleterre, et qui ont si longtemps partagé la France. Ce fut lui qui établit les synodes, les consistoires, les diacres ; qui régla la forme des prières et des prêches : il institua même une juridiction consistoriale avec droit d’excommunication.

Sa religion est conforme à l’esprit républicain, et cependant Calvin avait l’esprit tyrannique.

  1. Chapitre cxxviii.