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DE LA RELIGION EN FRANCE SOUS FRANÇOIS Ier.

de Lyon, dont la piété et les erreurs donnèrent, dit-on, naissance à la secte des Vaudois, s’étant retiré avec plusieurs pauvres qu’il nourrissait dans des vallées incultes et désertes entre la Provence et le Dauphiné, il leur servit de pontife comme de père ; il les instruisait dans sa secte, qui ressemblait à celle des Albigeois, de Wiclef, de Jean Hus, de Luther, de Zuingle, sur plusieurs points principaux. Ces hommes, longtemps ignorés, défrichèrent ces terres stériles, et par des travaux incroyables les rendirent propres au grain et au pâturage : ce qui prouve combien il faut accuser notre négligence s’il reste en France des terres incultes. Ils prirent à cens les héritages des environs ; leurs peines servirent à les faire vivre et enrichir leurs seigneurs, qui jamais ne se plaignirent d’eux. Leur nombre en deux cent cinquante ans se multiplia jusqu’à près de dix-huit mille. Ils habitèrent trente bourgs, sans compter les hameaux. Tout cela était l’ouvrage de leurs mains. Point de prêtres parmi eux, point de querelles sur leur culte, point de procès ; ils décidaient entre eux leurs différends. Ceux qui allaient dans les villes voisines étaient les seuls qui sussent qu’il y avait une messe et des évêques. Ils priaient Dieu dans leur jargon, et un travail assidu rendait leur vie innocente. Ils jouirent pendant plus de deux siècles de cette paix, qu’il faut attribuer à la lassitude des guerres contre les Albigeois. Quand l’esprit humain s’est emporté longtemps aux dernières fureurs, il mollit vers la patience et l’indifférence : on le voit dans chaque particulier et dans les nations entières. Ces Vaudois jouissaient de ce calme, quand les réformateurs d’Allemagne et de Genève apprirent qu’ils avaient des frères (1540). Aussitôt ils leur envoyèrent des ministres ; on appelait de ce nom les desservants des églises protestantes. Alors ces Vaudois furent trop connus. Les édits nouveaux contre les hérétiques les condamnaient au feu. Le parlement de Provence décerna cette peine contre dix-neuf des principaux habitants du bourg de Mérindol, et ordonna que leurs bois seraient coupés, et leurs maisons démolies. Les Vaudois, effrayés, députèrent vers le cardinal Sadolet, évêque de Carpentras, qui était alors dans son évêché. Cet illustre savant, vrai philosophe, puisqu’il était humain, les reçut avec bonté, et intercéda pour eux. Langeai, commandant en Piémont, fit surseoir l’exécution (1541) ; François ler leur pardonna, à condition qu’ils abjureraient. On n’abjure guère une religion sucée avec le lait. Leur opiniâtreté irrita le parlement provençal, composé d’esprits ardents. Jean Meynier d’Oppède, alors premier président, le plus emporté de tous, continua la procédure.