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CHAPITRE CXXXIX.

était un dessein formé d’asservir les consciences des rois à son ordre, de le faire dominer sur les esprits des peuples, et de lui acquérir une espèce de monarchie universelle.

Ignace de Loyola était bien éloigné d’une pareille vue, et ne fut jamais en état de former de telles prétentions : c’était un gentilhomme biscayen, sans lettres, né avec un esprit romanesque, entêté de livres de chevalerie, et disposé à l’enthousiasme. Il servait dans les troupes d’Espagne tandis que les Français, qui voulaient en vain retirer la Navarre des mains de ses usurpateurs, assiégeaient le château de Pampelune (1521). Ignace, qui alors avait près de trente ans, était renfermé dans le château. Il y fut blessé. La Légende dorée, qu’on lui donna à lire pendant sa convalescence, et une vision qu’il crut avoir, le déterminèrent à faire le pèlerinage de Jérusalem. Il se dévoua à la mortification. On assure même qu’il passa sept jours et sept nuits sans manger ni boire, chose presque incroyable, qui marque une imagination un peu faible et un corps extrêmement robuste. Tout ignorant qu’il était, il prêcha de village en village. On sait le reste de ses aventures ; comment il se fit chevalier de la Vierge après avoir fait la veille des armes pour elle ; comment il voulut combattre un Maure qui avait parlé peu respectueusement de celle dont il était chevalier, et comme il abandonna la chose à la décision de son cheval, qui prit un autre chemin que celui du Maure. Il prétendit aller prêcher les Turcs : il alla jusqu’à Venise ; mais, faisant réflexion qu’il ne savait pas le latin, langue pourtant assez inutile en Turquie, il retourna, à l’âge de trente-trois ans, commencer ses études à Salamanque.

L’Inquisition l’ayant fait mettre en prison parce qu’il dirigeait des dévotes, et en faisait des pèlerines, et n’ayant pu apprendre dans Alcala ni dans Salamanque les premiers rudiments de la grammaire, il alla se mettre en sixième dans Paris, au collége de Montaigu, se soumettant au fouet comme les petits garçons de sa classe[1]. Incapable d’apprendre le latin, pauvre, errant dans Paris, et méprisé, il trouva des Espagnols dans le même état ; il se les associa : quelques Français se joignirent à eux. Ils allèrent tous à Rome, vers l’an 1537, se présenter au pape Paul III, en qualité de pèlerins qui voulaient aller à Jérusalem, et y for-

  1. Le P. Bouhours, dans sa Vie de saint Ignace, dit que son héros fit ses humanités au collége de Montaigu, et sa philosophie au collége de Sainte-Barbe ; voyez le Petit Avis à un jésuite (Mélanges, année 1762), et dans le Dictionnaire philosophique, l’article Ignace de Loyola. (B.)