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DE L’INQUISITION.

tament furent condamnés l’un et l’autre à être brûlés ; qu’enfin tout ce que put Philippe II fut d’obtenir que la sentence ne s’exécutât pas sur le testament de l’empereur son père. Tout cela est manifestement faux : Constantin Ponce n’était plus depuis longtemps confesseur de Charles-Quint quand il fut emprisonné ; et le testament de ce prince fut respecté par Philippe II, qui était trop habile et trop puissant pour souffrir qu’on déshonorât le commencement de son règne et la gloire de son père.

On lit encore dans plusieurs ouvrages écrits contre l’Inquisition que le roi d’Espagne Philippe III, assistant à un auto-da-fé, et voyant brûler plusieurs hommes, juifs, mahométans, hérétiques, ou soupçonnés de l’être, s’écria : « Voilà des hommes bien malheureux de mourir parce qu’ils n’ont pu changer d’opinion ! » Il est très-vraisemblable qu’un roi ait pensé ainsi, et que ces paroles lui aient échappé ; il est seulement bien cruel qu’il ne sauvât pas ceux qu’il plaignait. Mais on ajoute que le grand-inquisiteur, ayant recueilli ces paroles, en fit un crime au roi même ; qu’il eut l’impudence atroce d’en demander une réparation ; que le roi eut la bassesse d’en faire une, et que cette réparation à l’honneur du saint-office consista à se faire tirer du sang que le grand-inquisiteur fit brûler par la main du bourreau. Philippe III fut un prince borné, mais non d’une imbécillité si humiliante. Une telle aventure n’est croyable d’aucun prince ; elle n’est rapportée que dans des livres sans aveu, dans le tableau des papes, et dans ces faux mémoires imprimés en Hollande sous tant de faux noms. Il faut être d’ailleurs bien maladroit pour calomnier l’Inquisition, et pour chercher dans le mensonge de quoi la rendre odieuse.

Ce tribunal, inventé pour extirper les hérésies, est précisément ce qui éloigne le plus les protestants de l’Église romaine : il est pour eux un objet d’horreur ; ils aimeraient mieux mourir que s’y soumettre, et les chemises ensoufrées du saint-office sont l’étendard contre lequel ils sont à jamais réunis.

L’Inquisition a été moins cruelle à Rome et en Italie, où les Juifs ont de grands priviléges, et où les citoyens sont tous plus empressés à faire leur fortune et celle de leurs parents dans l’Église qu’à disputer sur des mystères. Le pape Paul IV, qui donna trop d’étendue au tribunal de l’Inquisition romaine, fut détesté des Romains ; le peuple troubla ses funérailles, jeta sa statue dans le Tibre, démolit les prisons de l’Inquisition, et jeta des pierres aux ministres de cette juridiction : cependant l’Inquisition romaine, sous Paul IV, n’avait fait mourir personne. Pie IV