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DU JAPON.

notre ère vulgaire. Ils ne diffèrent donc de nous, en morale, que dans leur précepte d’épargner les bêtes. S’ils ont beaucoup de fables, c’est en cela qu’ils ressemblent à tous les peuples, et à nous qui n’avons connu que des fables grossières avant le christianisme, et qui n’en avons que trop mêlé à notre religion. Si leurs usages sont différents des nôtres, tous ceux des nations orientales le sont aussi, depuis les Dardanelles jusqu’au fond de la Corée.

Comme le fondement de la morale est le même chez toutes les nations, il y a aussi des usages de la vie civile qu’on trouve établis dans toute la terre. On se visite, par exemple, au Japon, le premier jour de l’année, on se fait des présents comme dans notre Europe. Les parents et les amis se rassemblent dans les jours de fête.

Ce qui est plus singulier, c’est que leur gouvernement a été pendant deux mille quatre cents ans entièrement semblable à celui du calife des musulmans et de Rome moderne. Les chefs de la religion ont été chez les Japonais les chefs de l’empire plus longtemps qu’en aucune nation du monde ; la succession de leurs pontifes-rois remonte incontestablement six cent soixante ans avant notre ère. Mais les séculiers, ayant peu à peu partagé le gouvernement, s’en emparèrent entièrement vers la fin du XVIe siècle, sans oser pourtant détruire la race et le nom des pontifes dont ils ont envahi tout le pouvoir. L’empereur ecclésiastique, nommé dairi, est une idole toujours révérée ; et le général de la couronne, qui est le véritable empereur, tient avec respect le dairi dans une prison honorable. Ce que les Turcs ont fait à Bagdad, ce que les empereurs allemands ont voulu faire à Rome, les Taicosamas l’ont fait au Japon.

La nature humaine, dont le fond est partout le même, a établi d’autres ressemblances entre ces peuples et nous. Ils ont la superstitution des sortilèges, que nous avons eue si longtemps. On retrouve chez eux les pèlerinages, les épreuves même du feu, qui faisaient autrefois une partie de notre jurisprudence ; enfin ils placent leurs grands hommes dans le ciel, comme les Grecs et les Romains. Leur pontife a seul, comme celui de Rome moderne, le droit de faire des apothéoses, et de consacrer des temples aux hommes qu’il en juge dignes. Les ecclésiastiques sont en tout distingués des séculiers ; il y a entre ces deux ordres un mépris et une haine réciproques, comme partout ailleurs. Ils ont depuis très-longtemps des religieux, des ermites, des instituts même, qui ne sont pas fort éloignés de nos ordres guerriers : car il y avait