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CHAPITRE CXLIV.

CHAPITRE CXLIV.


De l’Éthiopie, ou Abyssinie.


Avant ce temps, nos nations occidentales ne connaissaient de l’Éthiopie que le seul nom. Ce fut sous le fameux Jean II, roi de Portugal, que don Francisco Alvarès pénétra dans ces vastes contrées qui sont entre le tropique et la ligne équinoxiale, et où il est si difficile d’aborder par mer[1]. On y trouva la religion chrétienne établie, mais telle qu’elle était pratiquée par les premiers Juifs qui l’embrassèrent avant que les deux rites fussent entièrement séparés. Ce mélange de judaïsme et de christianisme s’est toujours maintenu jusqu’à nos jours en Éthiopie. La circoncision et le baptême y sont également pratiqués, le sabbat et le dimanche également observés : le mariage est permis aux prêtres, le divorce à tout le monde, et la polygamie y est en usage ainsi que chez tous les Juifs de l’Orient.

Ces Abyssins, moitié juifs, moitié chrétiens, reconnaissent pour leur patriarche l’archevêque qui réside dans les ruines d’Alexandrie, ou au Caire en Égypte ; et cependant ce patriarche n’a pas la même religion qu’eux : il est de l’ancien rite grec, et ce rite diffère encore de la religion des Grecs ; le gouvernement turc, maître de l’Égypte, y laisse en paix ce petit troupeau. On ne trouve point mauvais que ces chrétiens plongent leurs enfants dans des cuves d’eau, et portent l’eucharistie aux femmes dans leurs maisons, sous la forme d’un morceau de pain trempé dans du vin. Ils ne seraient pas tolérés à Rome, et ils le sont chez les mahométans.

Don Francisco Alvarès fut le premier qui apprit la position des sources du Nil, et la cause des inondations régulières de ce fleuve : deux choses inconnues à toute l’antiquité, et même aux Égyptiens.

La relation de cet Alvarès fut très-longtemps au nombre des vérités peu connues ; et depuis lui jusqu’à nos jours on a vu trop d’auteurs, échos des erreurs accréditées de l’antiquité, répéter qu’il n’est pas donné aux hommes de connaître les sources du

  1. Don Francisco Alvarez, de Coïmbre, était le secrétaire de l’ambassade envoyée en Abyssinie par Emmanuel, roi de Portugal. Il passa six ans dans ces contrées alors presque inconnues, et publia, à son retour, en 1540, une relation intitulée Verdadera informacam das terras do preste Juam. (E. B.)